
Bruno Belmont, Mister Catamaran



Son nom n’est connu que des initiés. Son parcours est remarquable. Bruno Belmont est passé en quelques années, de la construction de trimarans de course à la conception de catamarans de croisière. De Groupe Pierre 1er le bolide doré avec lequel Florence Arthaud a remporté la Route du Rhum 1990 au Lagoon 410, premier modèle de très grande série, à la base du succès phénoménal de la marque Lagoon.
Tout petit Bruno Belmont a construit son Optimist avant même d’en tenir la barre. Audacieux, il a poursuivi avec la réalisation d’un Fireball, remarquable dériveur de sport. Puis il est passé au half-tonner, un neuf mètres de régate. Trois unités en bois. Il savait construire des bateaux, il a appris à les dessiner à la célèbre école d’architecture navale de Southampton, par laquelle sont passés nombre de créateurs français de renom.
A sa sortie de l’école, Bruno a intégré l’atelier de construction du trimaran britannique Apricot avant de s’attaquer à la naissance de deux unités de régate sur plans Andrieu, puis de rejoindre, en 1989, une petite filiale de Jeanneau, spécialisée dans la production de multicoques de course, baptisée Jeanneau Techniques Avancées. Sous les hangars de ce chantier des bords de Loire sont nées des stars de la course au large comme de la production cinématographique. Bruno s’est impliqué avec toute sa science dans la construction du trimaran Groupe Pierre 1er. La victoire de Florence Arthaud dans la Route du Rhum 1990 a placé JTA sous les projecteurs. D’où les commandes de RMO, à Laurent Bourgnon, double vainqueur de cette même Route du Rhum, puis des deux longs monocoques de la Coupe de l’America 1995, France 2 et France 3, enfin des faux sisterships de Waterworld, la superproduction hollywoodienne avec Kevin Costner dans le rôle-titre.
Ce « blockbuster » a exigé de Bruno qu’il change de costume. Durant une année de tournage à Hawaï, le jeune Français a occupé le poste de patron technique des deux voiliers, de conseiller voile du metteur en scène et même de barreur caché, doublure invisible de Kevin Costner… Et en parallèle de tout cela, il demeurait impliqué dans la conception et la production des catamarans Lagoon, à la diffusion encore quasi-confidentielle à l’époque.
Un tel éclectisme ne pouvait que le conduire à s’inventer encore et toujours. Lorsque le groupe Bénéteau a repris Jeanneau, Bruno résolvait au quotidien les mille et un défis du tournage de Waterworld. Rentré en France, il a su si bien s’entendre avec François Chalain, le patron de la stratégie produit du leader vendéen, qu’il s’est retrouvé au cœur du changement de dimension de Lagoon.
Convaincu que le « vivre à bord » serait l’une des clés de la conquête d’une nouvelle génération d’acheteurs, porteur d’une définition aussi claire que rigoureuse des catamarans de croisière de grande série, il est l’un des hommes-clé de l’accession du groupe Bénéteau au rang de numéro un mondial de la catégorie. De quelques unités produites par an de façon semi-artisanale, la construction des Lagoon transportée à Bordeaux est passée au stade industriel, avec une production annuelle désormais comptée en centaines. Et une gamme homogène de onze à vingt mètres.
Bruno avait des idées, un sens inné des attentes d’une clientèle en perpétuelle évolution, un art de l’accouchement et du questionnement de solutions inédites.
Ce garçon placide, à la silhouette débonnaire et aux lunettes de matheux, s’entendait à merveille avec les architectes Van Peteghem-Loriot Prevost, aussi bien qu’avec des responsables de production exigeants. Le tout en respectant les impératifs de profitabilité fixés par Chalain.
Bruno semble tout savoir : aucun des mille et un détails d’un catamaran à voile ne lui est inconnu. Il parle donc d’égal à égal avec tous les corps de métier impliqués dans la réalisation d’un bateau.
Et il a des intuitions géniales : les fameux roofs Lagoon aux vitrages verticaux, une signature inspirée des passerelles de cargos, le fly-bridge et son poste de commandement surélevé avec vue à 360°, le cockpit avant aménagé, les quatre cabines double, les lits en îlots autour desquels il est facile de circuler, la cabine propriétaire avec salle d’eau et accès privatif au cockpit, tout cela Bruno l’a pensé, fait dessiner et construire.
Curieux de tout, ouvert, il connaît ses limites et reconnaît le talent des autres. Il loue sans aucune réticence les progrès que l’arrivée d’un cabinet de design italien a permis de réaliser dans la conception des intérieurs de catamaran.
Devenu responsable de la définition de la stratégie voile de tout le groupe Bénéteau, Bruno Belmont reste attentif aux grands vents qui soufflent sur le marché mondial. Déclin du monocoque, changement des pratiques d’une clientèle nouvelle, intégration des problématiques environnementales, rien ne lui est étranger.
Quand sa fonction lui en laisse le loisir, il aime emmener son half-tonner en bois dans un mouillage secret du Finistère. Aussi brillant que discret, d’une compétence ébouriffante, le parcours de cet homme indispensable mériterait un livre, des heures d’antenne… ou un film !
Olivier Péretié

