Portraits

Bruno Troublé, itinéraire d’un marin gâté

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Il n’a pas passé le Cap Horn en solitaire ni remporté un tour du monde à la voile. Il n’a pas dessiné de voiliers, il n’en a pas construit. Pourtant Bruno Troublé s’est imposé comme une figure de la plaisance française.

Il n’en revient pas lui-même, il aborde en 2025 les rivages d’un continent étrange : ses années 80 à lui. Ce grand costaud semble imperméable à l’implacable empilement des ans, tant la vie qui ne l’a pas trop maltraité jusqu’ici, continue de lui offrir des surprises, des aventures, des bords de rêve et des occasions de rire. Quand il se retourne sur son long sillage, il voit défiler des bateaux : des dériveurs de sa jeunesse aux longs cigares de la Coupe de l’America, en passant par des monocoques de championnat du monde. Il voit en parallèle, une carrière foisonnante de directeur commercial lors de l’explosion de la planche à voile puis de fondateur d’agence d’évènementiel avec à son palmarès la Coupe Louis Vuitton, la transformation des Champs Élysées en stade olympique, une régate de chefs d’entreprise ou un défilé de grands trois mâts le long de la Seine…

Ce Versaillais, fils d’un avocat bon vivant obsédé par la brièveté de l’existence, n’a pas manqué de chance. Très tôt, ce cancre issu de la très bonne bourgeoisie, a acquis l’art de la barre et du réglage des voiles. En dériveur, cela va de soi, ce qui l’a conduit aux Jeux Olympiques, mais aussi en « habitable », comme on disait à l’époque. Son père possédait un yacht quand ce privilège n’était pas encore ouvert à tous.

Tandis que sa sœur créait la marque Agnès B et l’imposait dans le monde entier, Bruno Troublé s’inventait. Fort de sa sixième place aux J.O. de 1968, il proposait sa candidature au Baron Marcel Bich. Le créateur de la marque Bic recrutait des champions pour lancer la France dans la conquête de la Coupe de l’America, le plus anciens des trophées sportifs. Bich voyait surtout dans ces duels à la voile aussi impitoyables que sophistiqués, le moyen d’implanter sa marque aux États-Unis. Troublé rêvait d’America’s Cup, le graal de la régate, depuis son adolescence.

Candidature refusée… ce qui conduisit Troublé à une nouvelle campagne olympique. Ses résultats en dent de scie ont eu au moins un mérite : ils lui ont permis d’intégrer enfin l’équipage français de la Cup. Avec à la clé, un exploit demeuré unique : en 1980, il barre France 3 en finale des challengers, ces prétendants qui se disputent l’honneur d’affronter le détenteur de la célèbre coupe.

Sur l’eau, Troublé est un bon barreur, il fédère un groupe de passionnés et moissonne avec eux des trophées en Course au Large. Il fait la Une des journaux anglais lorsque son bateau sombre en plein Tour de l’île de Wight, la régate la plus populaire d’Outre-Manche. En bon marin, il traverse l’Atlantique en famille à bord de son bateau de croisière, puis passe tout près d’une fin tragique, lorsqu’il tombe à l’eau en Adriatique. En 2007, en reconnaissance des services rendus, il entre au Hall of Fame de l’America’s Cup, premier et seul Français ainsi honoré.

A terre, Bruno Troublé mène sa barque avec audace et créativité. Le Baron Bich en a fait le directeur commercial du chantier Dufour, qu’il a racheté quelques années auparavant. Troublé se jette avec son enthousiasme contagieux dans l’incroyable boom de la planche à voile du début des années 80. Non seulement il permet aux marques Dufour et Bic de conquérir le marché français puis européen, mais lorsque cette aile de mouette devient discipline olympique aux Jeux de Los Angeles, il réussit à persuader le CIO d’adopter la Windglider, flotteur allemand que Dufour vient de racheter. A l’immense frustration des Américains, inventeurs de l’esquif.

Avec son entregent, son carnet d’adresse, son intelligence et sa bonne humeur communicative, Troublé avait la palette de compétences nécessaires pour créer une agence d’évènementiel à succès. Il a réalisé son rêve de gosse : atteindre le sommet de la régate mondiale, devenir membre du New York Yacht Club. Il a côtoyé, voire tutoyé, les géants des affaires et de la politique, tout comme les rockstars de la voile. Avec la même décontraction et sans jamais se tromper sur lui-même.

Devant son étrave, tandis que le soleil descend sur un parcours étonnant, l’horizon n’est pas vide, au contraire : on y voit les régates avec les copains d’une vie, les rassemblements du Golfe du Morbihan en voilier vintage ou les expéditions de la goélette Tara, financées par son neveu et dirigées par son fils.

Bruno Troublé n’en revient pas d’avoir 80 ans. 80 ans de passion pour ces choses simples que sont la mer, le vent, la voile.

Olivier Péretié

Bruno Troublé raconte, présenté par Olivier Péretié