La plaisance à moteur révise ses fondamentaux

Gérald Guétat
Culture
Beneteau Boat Club, 2023
Les crises économiques successives, les changements technologiques, la pression écologique et l'évolution des mentalités conduisent à repenser en profondeur les usages et les rapports au motonautisme.

La plaisance à moteur, comme la plupart des pratiques de consommation et de loisirs, peut-être considérée comme un indicateur fidèle de certaines tendances en mouvement au sein de la société. Les données de la décennie 2010-2020 concernant ce secteur en France le reflètent bien. L’offre de nouveaux modèles a été tirée vers le haut, voire le très haut de gamme, par des constructeurs à la recherche de meilleures marges, et stimulée par l’arrivée croissante, sur le marché, d’une clientèle à fort pouvoir d’achat. Dans le même temps, les segments inférieurs qui ont été à la base du succès du motonautisme depuis ses débuts, ont dû s’adapter à des réalités économiques plus contrastées. Les statistiques ayant la vie dure, la très grande majorité du parc est restée durablement constituée de petites unités de moins de 7 mètres. Dans l’ensemble, le bateau à moteur, loin d’être un bien de première nécessité, n’a donc rien perdu de son pouvoir de séduction comme moyen pratique d’échapper au sort des terriens de plus en plus soumis à une cohabitation de masse sur les littoraux pendant week-ends et vacances. La bonne résistance des chiffres d’attribution des permis bateau, d’année en année, a confirmé cette attractivité. Pendant les premières années d’une décennie encore marquée par les effets de la crise financière mondiale de 2008, professionnels et acheteurs ont donc trouvé des stratégies pour continuer à ne pas s’en priver. Cependant, pour beaucoup de candidats, le chemin de l’accession à la pratique du motonautisme pouvait apparaître encore semé d’embûches. L’obtention d’une place de port, par exemple, est demeurée (et pour longtemps) un parcours du combattant, favorisant des modèles transportables, faciles à mettre à l’eau.

Se saisir, partout, de la bonne occasion

Devant des prix du neuf en hausse, avec des coûts de financement, d’assurance et d’entretien à l’unisson, le recours au marché de l’occasion est donc devenu une évidence pour un nombre croissant d’acheteurs sur la plupart des segments, et en particulier ceux des bateaux de taille petite et moyenne. Les nouveaux styles apparus au cours les deux décennies précédentes ont beaucoup profité de cet engouement, en premier achat ou en renouvellement, dont les open, sundeck et autres walkaround, au détriment des coques aux aménagements plus traditionnels comme les pêches-promenades ou les dinghies. En 2019, une étude de la Fédération des industries nautiques mettait en avant une croissance de l’ordre de 3%, par rapport à l’exercice précédent, de ce type de transactions réalisées auprès de professionnels ou entre propriétaires privés. Ce document confirmait aussi le rôle de l’occasion dans la démocratisation d’une plaisance à moteur attirant depuis plusieurs années “des acheteurs issus de catégories socio-professionnelles intermédiaires”. Dans la même étude, cette vigueur du marché secondaire était perçue comme un signal très positif envoyé aux professionnels du nautisme, contredisant les craintes “d’une conversion d’un marché de propriétaire vers un marché d’utilisateur dans lequel la propriété partagée viendrait modifier les usages et provoquer une érosion progressive du marché. On a vu exactement l’inverse, la plaisance est un loisir qui attire de plus en plus, en pleine propriété ou en location“. Cet optimisme sera cependant bientôt à tempérer sous les effets conjugués des mutations à l’œuvre dans les comportements sociétaux, mais avant tout, de la généralisation de l’utilisation de l’internet et des outils numériques en seulement quelques années.

Wiziboat

L'essor phénoménal des plateformes en ligne

L’internet intervenant de plus en plus dans tous les aspects de vie quotidienne, le développement rapide et spectaculaire des plateformes sur la toile a modifié en profondeur le rapport du consommateur avec le commerce. Dans le domaine de l’occasion, ces sites sont rapidement devenus le meilleur moyen, si ce n’est presque le seul, de proposer directement un bateau à la vente. Leur interconnexion internationale, accompagnée de traductions automatiques (parfois drolatiques dans les temps héroïques) a aussi grandement favorisé la diffusion instantanée des annonces dans toute l’Europe et le monde, avec son lot d’opportunités insoupçonnées. La fréquentation de ces sites attisant la curiosité, tel le Bon Coin, est par ailleurs devenue presque un loisir à elle seule. Le marché secondaire n’a évidemment pas été le seul à profiter de l’aubaine et des usages moins habituels dans la pratique du nautisme sont devenus facilement accessibles, sans effort, par tous. Cela a concerné particulièrement la location de courte durée proposée par des plateformes dédiées comme Click & Boat couvrant de nombreux segments de l’offre motonautique. Cette ouverture du marché s’est réalisée dans le sillage de la tendance des jeunes générations urbaines ou péri-urbaines à se laisser tenter toujours plus par la mise à disposition rapide de modes de transport comme l’automobile pour une courte durée. Malgré les réticences de certains professionnels du secteur a le reconnaître à la fin de la décennie 2010-2020, le pratiquant occasionnel du motonautisme est, lui-aussi, devenu plus hédoniste et à la recherche de la satisfaction de ses envies, en abandonnant volontiers aux autres les contraintes de la propriété. Cette dernière a commencé à perdre de son aura au profit de l’expérience ludique qu’a représenté la possibilité de pouvoir tester tel ou tel modèle de bateau en fonction de la taille de sa famille et de son lieu de vacances.

Dans la même direction du plaisir allégé des engagements longs de la pleine propriété, l’émergence du concept de “Boat Club” a confirmé le changement d’état d’esprit en cours, comme a pu le faire AirBnb dans l’immobilier de loisirs. La plateforme Wizi Boat avec Bénéteau en sont un exemple représentatif, hautement professionnalisé dans sa présentation et sa gestion. Cette initiative a privilégié le seul secteur motonautique avec une flotte importante d’unités de moins de huit mètres s’appuyant sur le réseau des concessionnaires. L’espoir sous-jacent de cette mise à disposition facilitée réside dans la “conversion” de certains clients occasionnels en acheteurs fermes de nouveaux modèles.

Alors que se profile une fin de décennie cruciale, la généralisation des applications sur smartphone aura fini par modifier tous les aspects, y compris techniques, des rapports entre l’utilisateur et le motonautisme, qu’il soit propriétaire ou navigateur d’un jour .

Lancement de Click and Boat
Wiziboat

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