Les innovations technologiques
Courses en solitaire et progrès techniques
En France, les courses en solitaire et en double vont devenir si populaires que les coureurs ne vont pas avoir trop de problèmes pour trouver des sponsors. Si la course au gigantisme a failli devenir la norme, avec le quatre-mâts de 72 mètres Club Méditerranée d’Alain Colas en 1976, la victoire de Mike Birch avec son petit trimaran jaune Olympus Photo dans la Route du Rhum de 1978 ouvre la voie de la modestie. L’architecte américain Dick Newick, qui n’a qu’une devise, “Small is beautiful“, a de nombreux adeptes. Il signe le vainqueur de la Transat 80, où Phil Weld l’emporte sur Moxie, alors que les deux sisterships Jean’s Foster et Olympus Photo se placent troisième et quatrième.
Cependant, les multicoques vont assez vite s’allonger, au point de dépasser rapidement la limite imposée par les Britanniques dans leurs transats, 56 pieds (17,06 mètres). Les Français vont alors multiplier les courses, en double ou en solitaire, comme Lorient-Les Bermudes, La Baule-Dakar, Lorient-Saint Barthélémy ou La Route de la Découverte, afin d’assurer un spectacle continu d’aventures humaines. Il en résulte une recherche constante d’amélioration et d’allègement de la structure des bateaux.
Les chantiers français excellent de plus en plus dans la mise en œuvre des nouveaux matériaux. De l’autre côté de l’Atlantique, le Boc Challenge est parti de Newport en 1982 pour un tour du monde en solitaire avec escales. Cela donnera l’occasion de tester l’accastillage et de conforter les fournisseurs français d’enrouleurs de voiles d’avant comme Profurl qui équipe le voilier vainqueur, Crédit Agricole. Initiée en 1977 par Bob Salmon, la Mini Transat devait être une course de petits bateaux simples et bon marché. Les voiliers font 6,50 mètres ; la course rejoint les Canaries avant une traversée par les Alizés vers les Antilles. Mais dès la seconde édition, en 1979, l’américain Norton Smith se fait construire un prototype en bois moulé flush deck équipé de ballasts. Les éditions suivantes seront remportées par des plans de Jean Berret, et Jean -Marie Finot, qui signent de nombreux voiliers de croisière, notamment chez Beneteau.
L’America’s Cup, laboratoire d’innovations
Bien entendu, les progrès technologiques sur les 12 Mètre Jauge Internationale de la Coupe de l’America sont inévitablement reportés sur les voiliers de course. Les techniciens, les préparateurs et les équipages se retrouvent dans les grandes régates internationales, et font profiter lespropriétaires de leur expérience. Les maître -voiliers, en particulier, s’investissent dans les équipages. Les voiles de course prennent des couleurs qui vont de l’ocre jaune au terre de sienne brulée, où les couches de Mylar se superposent dans des coupes en éventail. En 1983, la quille à ailette d’Australia II révolutionne la forme des lests des voiliers à déplacement.
Beneteau sera le premier à proposer un tel appendice sur ses voiliers de croisière, qui restent raide à la toile malgré un tirant d’eau réduit. En 1988, le défi du géant New Zealand Challenge contre un multicoque à aile rigide Stars & Stripes met en évidence la supériorité d’un David, léger et agile, contre Goliath. Cette démonstration ne portera ses fruits que bien plus tard, mais encre l’image qu’une aile rigide est trois fois plus puissante qu’une voile simple. La Petite Coupe de l’America, qui se court depuis 1961 sur des catamarans de Classe C (7,62 mètres sur 4,26 mètres), a toujours été le creuset de recherches avancées. Dès 1980, les coques et l’aile de Patient Lady V sont construites en carbone et Mylar. Si le coût de ces matériaux est excessif pour les constructeurs de voiliers de croisière, la généralisation de ces matériaux sur les courses au cours de la décennie aboutira à leur utilisation en renfort de structure sur les bateaux de série.
Simplifier les manœuvres
L’enroulement des voiles, sur émerillons pour les voiles d’avant et autour de la bôme pour la grand – voile date du XIXe siècle. Dans les années 1980, les fabricants d’accastillage, les gréeurs et les voiliers cherchent à améliorer ces systèmes afin que les voiles restent efficaces une fois réduites, et surtout que les manœuvres puissent se faire depuis le cockpit. Dès 1980, une dizaine de marques proposent des enrouleurs de génois, avec des propositions diverses pour éviter une déformation des tissus et corriger le creux de la voile lors de l’enroulement. En quelques années, tous les problèmes seront réglés, que ce soit en tête de l’enrouleur, ou la protection des voiles aux ultra-violets une fois roulées. Pour les plus grandes unités, une motorisation sera possible, électrique ou hydraulique.
En 1978, en ce qui concerne la réduction de grand-voile, l’ingénieur Bernard Bernard invente un système qui permet d’enrouler la voile dans la bôme. Il laisse à poste une bande de tissus le long du mât qui permet à la voile de descendre sans distorsion ni effort au-delà du vit-de-mulet. La bôme est équipée d’une prise de hale-bas, et une motorisation du système est en option. Profurl, qui produit une gamme complète d’enrouleurs de génois, propose un enrouleur sur l’arrière du mât, avec une voile triangulaire, sans latte. Cette configuration sera reprise par la quasi-totalité des fabricants d’enrouleurs de génois. Au cours des années suivantes, la plupart des fabricants d’espars proposeront une des deux solutions d’enroulement, une bôme à enrouleur ou, le plus souvent, un enrouleur intégré dans le mât. La grande majorité des bômes sont à prise de ris avec passage des bosses à l’intérieur du profil vers un boitier de coinceurs à excentriques qui permettent leur manœuvre depuis le cockpit.
Tous ces bouts de réglages, sans compter les drisses et les hale-bas, arrivent sur des winches self- tailing, simplifiant leur manipulation. Pour limiter le nombre de winches, plusieurs bloqueurs assemblés sont placés en amont. Ils peuvent être ouverts ou fermés de la main libérée par le système de self-tailing. Ces nouveautés intéressent en premier lieu les voiliers de course, mais aussi les particuliers qui désirent se simplifier la vie à bord. Un temps viendra où les constructeurs proposeront ces équipements qui nous paraissent aujourd’hui essentiels. L’équipementier danois Easy est l’un des premiers à développer une gamme de bloqueurs qui emporte un vif succès. Il sera suivi par le britannique Spinlock et l’italien Antal. Dans un premier temps, les nouvelles drisses et écoutes sont en Kevlar, puis dès 1986, le Spectra, plus léger pour la même résistance à l’allongement, va le concurrencer, même si son matelotage s’avère plus complexe.
L’accastillage est alors en pleine révolution, avec des matériaux qui présentent une résistance supérieure pour un gain de poids considérable.
Au fil des ans, les nouveaux produits ont modifié les plans de pont des voiliers de croisière ou de course. Le carbone, le Kevlar, le titane et tous les matériaux composites sont partout présents. Les fabricants multiplient leur utilisation à tous les stades de fabrication. L’évolution consiste pour les fabricants à se positionner sur un marché international extrêmement concurrentiel. L’accastillage gagne ainsi en efficacité, en fiabilité, en poids et en coût. Après la révolution des poulies à aiguilles ou à billes, il en est proposé de nouvelles. Leurs roulements sont autolubrifiants ou en Torlon, avec un axe de fort diamètre autour duquel tourne un réa en carbone, l’émerillon est en titane. Un modèle fabriqué par Aptac en 1990, de 76 millimètres de diamètre, qui ne pèse que 200 grammes, supporte une charge de travail de 2400 kilos, soit quatre fois plus qu’une poulie construite cinq ans auparavant.
Plus de confort et de sécurité
Depuis toujours, un voilier bien équilibré est capable de naviguer barre amarrée. L’américain Joshua Slocum (1844-1909) a effectué un tour du monde entre 1895 et 1898 en ne touchant que très rarement la barre. En 1980, les voiliers sont plus sensibles que le Spray aux mouvements de la mer et aux changements de direction du vent. Aussi, les navigateurs solitaires s’équipent de régulateurs d’allure, appareil que l’on fixe sur le tableau arrière, muni d’une pale immergée et d’un aérien, capable de corriger le cap du voilier en fonction de la direction du vent. Le premier progrès va consister à transformer le régulateur en pilote automatique grâce à une motorisation du système. Rapidement, les premiers pilotes automatiques pour barre franche se développent, puis sur barre à roue. Pendant les dix ans qui suivent, les solitaires des grandes courses vont essuyer les déboires de la mise au point de ce matériel, qui deviendra de plus en plus sensible et fiable.
La motorisation du matériel, pilote, winch, enrouleur, guindeau vont devenir de gros consommateurs d’électricité. De plus les progrès des équipements de confort à l’intérieur, chauffage à air pulsé, réfrigérateur, congélateur, WC électrique et dessalinisateur épuisent rapidement les batteries. Aussi les voiliers s’équipent les groupes électrogènes adaptés au milieu marin. D’un autre côté, les panneaux solaires et les éoliennes se mettent en quatre pour entretenir et même charger les batteries du bord. Tout nouveau alors, les hydrogénérateurs viennent à la rescousse pour transformer la vitesse du voilier en électricité. Les installations électriques, de plus en plus complexes, amènent les constructeurs d’accessoires à développer tout une série d’appareils pou r la charge, la régulation, et le contrôle à bord.
Pour la sécurité, les balises de détresses sont dans un premier temps sont celles homologuées par l’aviation civile, conditionnées dans un boitier étanche et captées par l’aviation civile et militaire. À partir de 1982, elles seront reliées au premier satellite Cospas soviétiques, puis en 1984 aux trois autre Cospas et aux deux Sarsat américains, avec un temps moyen de localisation de d’une heure et demi, et une localisation entre 13 et 2 kilomètres suivant le matériel. En 1988, a mise en place des satellites GPS (Global Positioning System) par les militaires américains n’est pas encore suffisante pour leur utilisation en balise de détresse, mais cela permet une localisation précise, mais géographiquement très limitée. Les premiers récepteurs sur le marché atteignent quand même 100 000 francs, soit l’équivalent d’un voilier de 6,50 mètres pour la Mini Transat. L’année suivante, ils valent le quart de ce prix, alors que le lancement de nouve aux satellites est retardé. Il faudra attendre 1995 pour que les vingt-quatre satellites soient opérationnels, alors que le président Ronald Reagan a permis que l’utilisation du GPS soit gratuite aux civils.