Première industrialisation en Europe

Gérald Guétat
Économie
Riva France, Vahini, La Bocca ©Guy Lévèque
En rêvant de devenir le « Chris-Craft » européen, un jeune ingénieur italien a transformé le chantier artisanal familial en une vaste usine moderne. Ce faisant, il a importé des Etats-Unis puis inventé plusieurs concepts faisant de son entreprise un modèle précoce d’industrialisation de la plaisance dans l’Europe des années 1960.

Le pari de Carlo Riva

Dans l’Italie des années 1950, les Etats-Unis concentrent tous les rêves de progrès des jeunes générations. Carlo Riva lit et relit les revues américaines de yachting : « J’étais persuadé qu’il y aurait bientôt un marché, aussi chez nous, pour des bateaux de grande qualité et très sûrs mais, produits en série ». Après avoir pensé reprendre le petit chantier familial installé de longue date dans le centre de Sarnico (lac d’Iseo-Lombardie), Riva, qui voit les choses en grand, commence par emprunter de quoi se rendre aux Etats-Unis pour rencontrer la direction de Chris-Craft dans le Michigan. Nous sommes en 1952 et un tel voyage, en avion, est un luxe réservé aux hommes d’affaires bien installés. Sur place, Carlo, du haut de ses trente ans, parvient à convaincre ses interlocuteurs américains de lui accorder une licence exclusive d’importation de leurs moteurs en Italie.

Création d’un chantier moderne visionnaire

Cette première étape réussie le stimule pour passer à la phase deux de son plan, créer de toutes pièces un chantier ultra moderne à quelques kilomètres de celui de son père : « J’étais en totale opposition avec lui que je voyais s’échiner à produire des bateaux à l’unité. Le travail était dur, sale et mal payé». Il a toujours en tête ce que lui a dit un jour Giuseppe Beretta, de la grande dynastie d’armuriers fondée en 1526 : « Il n’y a pas de résultats sans organisation, mais pas d’organisation sans espace ».

Un autre important homme d’affaire accepte alors de lui prêter de quoi construire un outil de travail exemplaire. Dès 1954, Riva inaugure la première tranche du chantier qui reste, encore de nos jours, un exemple de réussite d’architecture industrielle, témoin de son temps et désormais classé monument historique. L’implantation au sol des zones successives de construction y est rationalisée au maximum, une première pour la fabrication des bateaux de plaisance sur le Vieux Continent. Tout est pensé pour la productivité et l’ergonomie du travail, de la pose de la quille aux essais sur le lac qui baigne les quais du vaste site d’une superficie qui atteindra, à terme, 36 000 m2 dont 17 000 couverts. Même la couleur des combinaisons des employés est destinée à mieux révéler si chacun est bien à son poste. Riva, ingénieur à l’œil très sûr, n’omet aucune piste nouvelle pour développer son entreprise industrielle, qu’elle soit technique, scientifique ou psychologique, via la publicité et le marketing.

Sarnico, Riva
Riva, la plaisance de luxe, 2012, INA

Série et innovations

Pour passer de la construction classique – bordé sur membrure – et se lancer dans la série dès le milieu des années 1950, il s’associe avec une firme spécialisée dans les contreplaqués de haute performance et fonde Marine Plywood. Puis, au début des années 1960, Carlo Riva met au point avec Pirelli un système de presse pneumatique pour « mouler » d’une pièce les murailles en acajou de l’Aquarama de plus de huit mètres, son vaisseau amiral, se rapprochant de la technologie des composites. Son chantier se lance aussi dans une approche pionnière de la clientèle avec la création d’une division spécialisée dans la formation du réseau des concessionnaires et le respect de normes imposées pour le bon entretien de ses runabouts de luxe, une autre première du genre.

Publicités pionnières et succès

Toutes ces initiatives innovantes sont servies par des publicités en avance sur leur temps qui montrent à peine le produit, insistant plutôt sur le mode de vie qu’il inspire. Dès 1961, le chantier passe le cap des 200 unités par an, produisant ensuite une moyenne annuelle de plus de 250 bateaux de haut de gamme tout au long de la décennie. Lorsqu’il cède son affaire au groupe américain Whittaker en 1969, Carlo a vu sortir de son usine modèle plus de 4 000 Riva en bois.

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