L’irrésistible ascension des foils

L’idée d’améliorer les performances d’un bateau en faisant sortir la coque de l’eau remonte loin : dès la fin du XIXe siècle des inventeurs ont tenté d’installer des plans porteurs sur les premières embarcations à moteur. Cette idée repose sur une donnée physique toute simple : la viscosité de l’eau étant 800 fois plus importante que celle de l’air, si l’on parvient à s’extraire de l’élément liquide on va considérablement diminuer la résistance à l’avancement et donc augmenter la vitesse…
Ces plans porteurs – que l’on prendra l’habitude de désigner sous le nom générique de foils, – fonctionnent sur le même principe qu’une aile d’avion. L’écoulement du fluide – air ou eau – autour du plan génère une différence de pression entre ses deux faces, ce qui se traduit par une portance tendant à soulever l’ensemble.
À partir du milieu du XXe siècle ces drôles d’appendices commencent à faire rêver les amateurs de voile. Mais si l’on excepte quelques beaux chronos réalisés par des engins de vitesse radicaux sur des plans d’eau abrités – et bien sûr le mémorable record de l’Atlantique du Paul Ricard d’Éric Tabarly en 1980 – la supériorité des voiliers à foils par rapport à leurs homologues conventionnels va mettre du temps à s’affirmer en course au large.
De la dérive droite au foil
Jusque dans les années 1990, les trimarans les plus performants en haute mer se passaient de cet accessoire. Leurs appendices se bornaient généralement à une dérive dans la coque centrale avant que la configuration avec une dérive sabre dans chaque flotteur ne se généralise. À l’aube des années 2000 un tournant se produit : ces dérives – droites à l’origine – prennent de plus en plus de courbure, ce qui leur permet d’avoir l’effet d’un foil tout en assurant leur traditionnelle fonction anti-dérive. Au début de la décennie suivante, la cause est entendue. À l’exemple de Groupama 3 – conçu en 2006 par le cabinet VPLP et vainqueur de la Route du Rhum 2010 avec Franck Cammas – tous les trimarans à succès sont maintenant équipés de ce type d’appendices qu’il est convenu d’appeler “foils d’appoint”. Sept ans plus tard, ce même bateau – rebaptisé IDEC-Sport et mené par Francis Joyon et ses cinq équipiers – fait encore une fois la preuve de l’efficacité du concept en pulvérisant le record du trophée Jules Verne, mettant seulement 40 jours et 23 heures pour faire le tour du monde à la voile par les trois caps.
C’est aussi en 2017 que François Gabart réussit une performance phénoménale, abaissant le record du tour du monde en solitaire à 42 jours et 16 heures à bord de Macif, trimaran de 30 m construit en 2015 par CDK Technologies sur plans VPLP. Ce bateau particulièrement léger – il pèse deux tonnes de moins que la plupart de ses concurrents – est doté de foils en “L”, ce qui permet d’augmenter la portance : quand les conditions sont optimales, le trimaran ne s’appuie plus que sur son foil, le flotteur sous le vent touchant à peine l’eau. Une évolution permise par la présence de plans porteurs sur le safran – ils permettent de stabiliser l’assiette longitudinale – et qui préfigure l’arrivée, à la décennie suivante, de multicoques de haute mer capables de “voler” de façon prolongée.

Dix jours de moins autour du monde
Jusqu’aux années 2010, personne ou presque ne pensait que les foils pourraient s’imposer sur les monocoques. Et pourtant… Totalement absents de l’édition 2012/2013 du Vendée Globe, ils équipent en 2016 un quart des concurrents au départ. À commencer par les quatre premiers à l’arrivée, dont le vainqueur Armel Le Cléac’h qui en profite pour améliorer de quatre jours le record de l’épreuve. Cette révolution n’aurait jamais été possible sans les prouesses des constructeurs : grâce aux composites modernes, le poids des 60 pieds IMOCA peut descendre en dessous de huit tonnes, ce qui représente cinq tonnes de moins que leurs aînés ! Dotés d’un rapport voilure/poids de plus en plus impressionnant (47 m2 par tonne au près pour Banque Populaire VIII, le bateau d’Armel Le Cléac’h, cosigné par VPLP et Guillaume Verdier) ils ont un potentiel de vitesse comparable à celui des grands multicoques des générations précédentes et sont donc tout aussi légitimes à utiliser de tels appendices. Cette donnée est essentielle car le foil a besoin d’une grande vitesse initiale pour produire de la portance. Il peut rendre encore plus rapide une machine déjà très performante… mais ne présente guère d’intérêt pour un modèle plus lent, a fortiori pour un voilier de croisière qui, compte tenu de ses contraintes de confort et de facilité d’usage, aura toujours un rapport voilure/poids insuffisant (le plus souvent en dessous de 10 m2/tonne) et des volumes plus généreux, moins favorables à la vitesse.
Il faut aussi préciser que l’arrivée des foils dans la flotte IMOCA ne visait pas dans un premier temps à faire déjauger les bateaux mais d’abord à leur procurer un surcroît de stabilité : l’appui sur le foil sous le vent permet de diminuer la gîte – un peu à la façon du flotteur d’un trimaran – sans avoir besoin d’augmenter le lest ou les ballasts. Et bien sûr, en soulageant la coque cet appui permet de réduire la surface mouillée de la coque et donc d’améliorer encore la vitesse…


Des foils en série
Au fil des années suivantes, architectes et coureurs apprendront à maîtriser de mieux en mieux les foils au point de rendre la navigation en IMOCA de plus en plus “aérienne”, ce qui permettra au vainqueur du Vendée Globe 2025 – Charlie Dalin – de boucler son tour du monde en 64 jours, soit dix de moins que le record précédent ! Entretemps les foils ont conquis un autre terrain : celui du monocoque de série avec le lancement en 2017 du Figaro Bénéteau 3. À partir de 2019, ce bateau dessiné par le cabinet VPLP, devient le support de l’incontournable Solitaire du Figaro, rendez-vous annuel des champions comme des espoirs de la course au large. Il sera également adopté – à partir de 2021 – comme support de la Transat Paprec. Les résultats de cette dernière permettent de mesurer le chemin parcouru : avec ses deux foils, ce monocoque de 9,75 m traverse plus vite l’Atlantique que ne le faisaient les grands multicoques des premières Route du Rhum…
Le mouvement a également gagné les 6,50 m de la Mini Transat avec de plus en plus de prototypes équipés de foils depuis le milieu des années 2010. Et à la clé des pointes de vitesse voisines de 30 noeuds, inimaginables pour des 6,50 m conventionnels.
