La location : Une autre pratique de la plaisance

Olivier Péretié
Économie
Lagoon
Au vingt-et-unième siècle, les nouvelles générations souhaitent vivre la mer autrement. Le nautisme est devenu une activité « outdoor » parmi d’autres. En forte expansion, la location a répondu à cette mutation. Le Français Dream Yacht Charter est devenu le numéro un mondial du secteur.

La France doit son accession au rang de numéro un mondial de la location de bateaux de plaisance à un ouragan. En 2017, le cyclone Irma a frappé le nord des Antilles. Il a dévasté Saint Martin est les Iles Vierges britanniques. Et pulvérisé deux des plus grandes bases de location de Moorings-Sunsail -jusque-là champion du secteur- et de son rival français Dream Yacht Charter. Le premier a perdu deux-cents voiliers, le deuxième quatre-vingt-deux, en grande majorité des catamarans.

Pour renouveler dans l’urgence ces flottes, Moorings-Sunsail s’est tourné vers son fournisseur quasi-exclusif, Robertson & Caine, constructeur des catamarans Leopard. Mais l’entreprise sud-africaine n’avait aucune possibilité d’honorer une commande aussi massive en quelques mois. Ce fut la « chance » de Dream Yacht Charter.

Loïc Bonnet avait fondé l’entreprise à l’aube des années 2000. Avec une audace certaine et le soutien des banques françaises, il avait ouvert une base dans l’île de Praslin aux Seychelles. Laquelle exploitait huit voiliers, dont deux monocoques seulement. Bonnet avait pressenti que le catamaran deviendrait vite la plateforme idéale pour le charter. En quinze ans, son entreprise s’était considérablement développée.

« J’avais déjà une forte expérience, confie Loïc Bonnet. J’avais dirigé un temps Moorings-Sunsail Europe. Il faut reconnaître aux Anglo-saxons l’invention d’un modèle : la gestion-location. »

Les dirigeant du groupe Moorings avaient eu l’idée de proposer à des particuliers d’acheter une bonne partie de leur flotte de bateaux neufs destinée au charter. Ils garantissaient à ces propriétaires à la fois un revenu fixe et la jouissance de leur voilier durant un nombre de semaines déterminé à l’avance. Ils gagnaient ainsi sur de nombreux tableaux : ils pouvaient financer rapidement la création d’escadres importantes, faire miroiter des commandes géantes aux chantiers navals et ainsi définir des unités adaptées à leurs besoins spécifiques, avec en retour des prix avantageux, profiter de la standardisation des bateaux facilitant la maintenance, homogénéiser la prestation proposée sur toutes les bases, garantir un produit et la sécurité d’une marque réputée.

« Seulement, tellement sûrs de leur supériorité, glisse Bonnet, ils ne m’ont pas vu venir. » Bonnet a ouvert des bases dans des destinations exotiques, telles Bali, Madagascar voire l’archipel des Mergui en Birmanie, négligées par le numéro un. Avec le soutien indéfectible des banques françaises, puis l’entrée au capital de Dream Yacht Charter des constructeurs Fountaine-Pajot puis Bénéteau, il a pu s’assurer une croissance rapide mais néanmoins solide. Bien loin de le terrasser, le cyclone Irma lui a offert l’opportunité de rebondir.

En 2015, le regretté Olivier Poncin, propriétaire des catamarans haut-de-gamme Catana depuis 2003, avait créé la marque Bali au sein de son groupe, et inventé des unités à deux coques nettement moins chères, taillées pour un usage de la mer différent. Ces volumineuses embarcations privilégiaient le loisir au mouillage plutôt que les sensations au large. Sans rencontrer le succès.

Lorsque deux ans plus tard Irma a frappé, Bali se trouvait à la tête d’un stock important d’unités invendues. Constatant que non seulement ses bateaux étaient immédiatement disponibles, mais en plus qu’ils s’adapteraient parfaitement au charter, Bonnet a sauté sur l’occasion. Dès la saison suivant Irma (l’hiver européen et américain), il a pu proposer au charter une cinquantaine de Bali flambant neufs. Et pris d’importantes parts de marché à Moorings-Sunsail, devenant de facto le numéro un mondial…

Cette réussite n’aurait pas été possible sans une adaptation à un changement majeur de paradigme. Comme le souligne Bonnet :

« Les attentes et besoins de la clientèle de location ont changé. Nous sommes passés d’une économie du nautisme à une économie du tourisme nautique. »

Ce qui était encore dans la décennie précédente une activité de niche -la location de bateaux, souvent des monocoques, à des plaisanciers confirmés désireux d’explorer de nouveaux bassins de navigation- est devenue une offre de loisirs touristiques à un public non initié, à partir d’un habitat flottant. Désormais, près du tiers des locataires n’ont aucune expérience de navigation. Le catamaran devient alors une sorte de concurrents des paquebots de croisière, une maison sur l’eau promettant des loisirs aussi bien aquatiques que terrestres. En à peine vingt-cinq ans, les flottes de location sont ainsi passées de 20 % de catamarans à près de 60 %. Et les demande de location avec skipper de moins de 10 % à plus de 50 %.

Ce désir de vacances sur l’eau a donc autant bouleversé un secteur en pleine expansion qu’il a contraint celui de la construction à s’adapter. Les multicoques sont devenus majoritaires dans la production. Dream Yacht Charter à lui seul en commande 200 chaque année.

Car Bonnet a aussi osé pousser le concept jusqu’au bout. Il y a une dizaine d’années, il a inventé la croisière à la cabine. En voilier. Et pour ce faire, commandé au groupe Bénéteau une version à six cabines identiques du Lagoon 620, la plus grande unité (19 mètres) au catalogue, à l’époque. Brillante sur le papier -les grands Tour-Opérateurs assurent aujourd’hui 20 % du chiffre d’affaires de l’entreprise- l’idée n’était pourtant pas sans risque. Comment assurer une cohabitation harmonieuse entre des inconnus issus de pays aux habitudes et cultures différentes ? La formation des skippers devenait -et reste- un enjeu crucial. Néanmoins, cette invention a pris corps dans nombre des 45 bases de la marque à l’époque (contre 25 à Moorings-Sunsail).

Reste que, sans même parler des profonds bouleversements provoqués par la pandémie du Covid 19 à partir de 2019, le secteur de la location n’a pas encore atteint la maturité économique. Sur les 20 000 unités proposées à la location dans le monde, les deux géants n’en représentent qu’à peine 7,5 %. Le reste, en dehors d’acteurs majeurs sur leur bassin propre comme Kiriacoulis en Méditerranée, est constitué d’une myriade d’entreprises locales, souvent familiales, qui louent souvent une dizaine de bateaux pour des prestations variables, avec ou sans skipper. Comme les grandes, ces micro-sociétés sont elles aussi contraintes de s’adapter à une clientèle, certes rajeunie, mais qui entend s’offrir des vacances sur l’eau plutôt que des navigations engagées.

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