Mer belle par visibilité réduite

L’industrie du nautisme est une habituée des situations difficiles. Sa proximité avec la mer semble l’avoir placée aux avant-postes pour subir des tempêtes cycliques, à un rythme quasi décennal depuis sa naissance et son expansion dans les années 1960. Les responsables du secteur, interrogés par la presse lorsque s’annonce un coup de vent, rappellent généralement qu’un “bateau n’est pas un produit de première nécessité”, comme pour entériner une fragilité intrinsèque. Mais, la bataille qu’ils doivent tous mener à chaque fois pour maintenir le cap et redresser la situation n’en est pas moins rude.
Ainsi, une dizaine d’années après avoir commencé à récupérer lentement de la crise mondiale de la guerre du Golfe et nettement progressé en termes de production, de chiffre d’affaires et d’exportation, la plaisance française à moteur voit ses espoirs de stabilité dans le développement menacés par une nouvelle baisse du marché. Dans ce contexte déjà tendu, le pire est encore à venir alors que la nouvelle crise de grande envergure qui va intervenir en 2008 n’est pas encore d’actualité. En effet, entre 1997 et 2004, les constructeurs français du motonautisme ont enregistré une croissance moyenne de plus de 20 % par an, sur un marché toujours largement dominé par la plaisance à moteur.
Français et Italiens évincent les Américains
En 2004, les ventes aux clients étrangers – surtout européens – ont encore progressé par rapport à l’année précédente, les chantiers français ayant réalisé de belles performances pour se classer désormais, au niveau de l’Europe, au troisième rang derrière l’Italie et la Grande-Bretagne. Dans le même temps, l’attractivité des productions américaines qui dictaient autrefois la tendance a en grande partie disparu devant la créativité conquérante des firmes françaises et italiennes. L’année 2005 a confirmé ce dynamisme stimulant. Mais, la vague des nouvelles immatriculations de bateaux à moteur a commencé à refluer dès 2007 avec un recul d’environ 2% par rapport à l’exercice antérieur. Les causes en sont alors multiples, en partie conjoncturelles (contexte économique général) et en partie structurelles avec le problème récurrent des infrastructures pour accueillir de nouvelles unités. Comme par le passé, de nombreux professionnels ont pointé du doigt le manque de place disponible dans les ports, un facteur déterminant pour la croissance, d’autant plus que la taille des bateaux augmente. Toutefois, à la différence des évolutions conjoncturelles qui peuvent être rapides, la construction de nouvelles marinas ou l’extension d’installations existantes est un processus lourd et complexe, précédé d’études de plus en plus contraignantes au regard des exigences de la protection de l’environnement.
Une vie après la mort des vielles coques
Ce problème d’équipement qui concerne autant le motonautisme que la voile, s’est vu désormais doublé d’une autre préoccupation écologique majeure, commune elle-aussi aux deux secteurs. L’acuité de la question du devenir des bateaux en fin de vie est devenue plus pressante à partir du milieu de la décennie 2000-2010, sous l’effet d’un programme de sensibilisation lancé en 2003. En 2005, la Fédération des industries nautiques annonçait des perspectives de tonnage des déchets à 25000 à l’horizon 2015, voile et motonautisme confondus, sachant que les moteurs, à eux seuls, subissent un traitement spécifique, différent de celui des coques et de leurs accessoires. Constructeurs, chantiers de réparation/maintenance et collectivités territoriales ont donc été incités à travailler en profondeur sur la dépollution et la déconstruction des unités hors d’usage, après un cycle de vie estimé à environ trente ans. Dans une conjoncture incertaine, les promoteurs de ce programme ont pu insister – en plus des enjeux environnementaux – sur la valeur économique des emplois nouveaux ainsi générés, en arrêtant de brûler ou de couler des épaves stockées ou abandonnées. Dépollution et déconstruction pourraient, à terme, représenter une part non négligeable de l’activité d’un secteur nautique entré dans une ère plus vertueuse . La dépollution, première phase impliquée, permettrait de récupérer tous les fluides, les produits toxiques et les matériaux très abîmés ou dangereux. Viendrait ensuite la déconstruction avec un désassemblage du bateau suivi du tri des différents matériaux destinés au recyclage. Avec des unités à moteur majoritairement construites en résine et fibre de verre, le retraitement et le réemploi de quantités considérables de ce “plastique” constituent un défi de taille pour la filière. Mais, à la fin de la décennie, ils offrent aussi des perspectives dont certains acteurs espèrent beaucoup dans l’avenir.
L’effet domino de la crise financière de 2007
La crise économique de 2008, déclenchée par la chute du marché immobilier hypothécaire américain l’année précédente; va marquer l’histoire contemporaine par sa propagation à l’échelle mondiale et ses effets durables. Sans revenir sur les détails d’un mécanisme très documenté par ailleurs, quelques chiffres donnent une idée de l’ampleur du phénomène.
Selon la Banque de France, entre 2007 et 2010, le chômage est passé de 4,6 à 9,6 % de la population active aux ÉtatsUnis et la dette publique de 86,4 à 125,8 % du PIB, et respectivement de 7,5 à 10,2 % et 75,9 à 101 % en zone euro. En France, l’industrie nautique, a été lourdement impactée dès l’automne 2008, période traditionnelle de prise des commandes de nouvelles unités. Les incertitudes face à l’avenir ont poussé les acheteurs à stopper net leurs achats. Nombre d’industriels ayant beaucoup investi dans les années précédentes pour améliorer leur productivité se sont retrouvés en difficulté. En temps de crise grave, la capacité d’adaptation est essentielle. Mais, il en faut aussi le courage et les moyens. En France, le groupe Bénéteau a pris très vite la mesure de la gravité de la situation. Dès avril 2009, il annonçait un plan social destiné à alléger sa masse salariale de 1600 postes. Grâce de nombreux aménagements, le nombre des licenciements secs ne dépassera pas une douzaine. Dans le même temps, l’entreprise se préparait à accroître sa compétitivité en étudiant des opportunités de croissance externe.
