Plus forts dans la tempête

Olivier Péretié
Économie
©Gilles Martin Raget
Au long d’une décennie marquée par les crises internationales, politiques comme économiques, les voiliers français, neufs comme d’occasion, ont résisté aux tempêtes et gagné des parts significatives du marché mondial

Numéro un mondial de la construction de voiliers, numéro un mondial du pneumatique et de la glisse, numéro quatre mondial de la production de bateaux à moteur : mieux qu’un long discours, ce palmarès illustre la réussite de la filière nautique française durant la première décennie du vingt-et-unième siècle. Cette réussite est d’autant plus remarquable que la traversée des années 2000-2010 n’a rien eu d’une croisière de petit temps.

A peine remis de l’éclatement de la bulle Internet, brutalement redescendus du paradis des start-ups à la mode, les acteurs économiques subissent le choc du 11 septembre 2001. Deux avions de ligne percutent les tours du World Trade Center à New York, un troisième s’écrase sur le Pentagone à Washington tandis qu’un quatrième se crashe en Pennsylvanie. Quinze mois plus tard, les troupes de la coalition internationale emmenée par les États-Unis envahissent l’Irak. La deuxième guerre du Golfe bouleverse la géopolitique mondiale et ébranle l’économie.

La croissance française frôlait les 4% en 2000. Elle atteint à peine 0,8 % en 2003. Elle remonte péniblement à 2,8 % en 2004. Mais un nouveau séisme survient. En 2008, lorsque l’onde de choc de l’effondrement de Wall Street, dans le sillage de la « Crise des Subprimes », frappe la France, la croissance française retombe à 0,3 %. Elle devient négative en 2009 (-2,9 %). Seule donnée positive, l’inflation qui était retombée sous les 2 % en 2000, ne connaîtra qu’un bref soubresaut en 2008 (3,2 %) avant de devenir quasi-nulle en 2009 et de remonter à 1,7 % en 2010. Le chômage était enfin descendu sous les 9 % de la population active en 2000, il remonte à 9,8 % en 2005. Excepté en 2008, où il redescend à 7,4 % juste avant la crise financière internationale, le taux de non-emploi sera proche des 10 % jusqu’en 2010. La dépense publique se maintenait sous les 55 % du PIB de 2000 à 2008, elle monte à 58 % en 2010, en croissance inexorable de 2 à 3 % l’an. Le déficit public passe au-dessus des 7% à la fin de la décennie.

Dans ce tableau macroéconomique sérieusement houleux, la filière nautique française parvient à traverser toutes les tempêtes. Mieux, elle consolide sa place de leader du marché mondial des voiliers de plaisance. Le chiffre d’affaires des constructeurs avait augmenté de 92 % en dix ans, de 1990 à 2000. Il croît encore de 25 % au cours de la décennie suivante, à 4,34 milliards d’Euros. Sur cette mer chaotique, les acteurs tricolores font la course en tête.

Grâce à la croissance de leur marché domestique,  grâce à l’émulation entre les grands groupes, grâce au savoir-faire des architectes navals, ingénieurs et techniciens français, les voiliers nationaux séduisent le monde. En l’an 2000, le magazine américain Cruising World accorde au Super Maramu du chantier rochelais Amel, le titre de « Best Boat of The Year ». Il s’agit d’un solide ketch de 16 mètres en polyester, où tout est conçu pour qu’un couple de retraités puisse voyager autour du monde en autonomie totale et dans un confort exceptionnel. Tout un symbole.

La montée en puissance des catamarans de croisière ne fera que confirmer l’engouement universel pour les productions françaises.

En 2005, le Royaume Uni à lui seul absorbe 20 % de la production française de voiliers habitables. Il est suivi de près par l’Espagne. En dix ans, de 1995 à 2005, le volume des ventes à l’export a été multiplié par dix ! Durant la décennie 2000-2010, l’exportation dépasse chaque année les 60 % du chiffre d’affaires du secteur, avec un pic à 66 % en 2010. Les activités industrielles françaises qui peuvent en dire autant se comptent sur les doigts d’une main.

Certes, un trou d’air vide les voiles exportatrices en 2005, avec une baisse de 6,2 % des ventes vers les pays de l’Union Européenne. Mais celle-ci est plus que compensée par le dynamisme des ventes hors Europe, en hausse de 30 %. À eux seuls, les États-Unis absorbent la moitié de ces transactions.

Paradoxalement, l’entrée en vigueur officielle de l’Euro brouille les repères. Si elle simplifie grandement les échanges à l’intérieur de l’Union Européenne, elle ne facilite pas la vie des exportateurs hors UE. En 1999, lors de sa création, l’Euro cote 1,16 dollars, puis seulement 0,8 dollar en 2000. La monnaie unique amorce alors une remontée irrésistible. En 2002 lors de son introduction effective, l’Euro retrouve brièvement la parité, avant de sans cesse se renforcer pour coter 1,60 dollar en juillet 2008 !

Usine Beneteau, Marion, USA
Usine Beneteau, Marion, USA

Pour les entreprises françaises du nautisme, cela ferme de facto les portes d’un marché américain jusque-là crucial : qui peut résister à un renchérissement de 60 % de ses prix en dollar ?

Or, le numéro mondial de la construction de voiliers, le groupe Bénéteau-Jeanneau a un atout dans sa manche. En 1984, Bénéteau a ouvert une usine aux États-Unis, précisément à Marion, en Caroline du Sud. Cet établissement fabrique les monocoques du groupe à destination du marché nord-américain. Au cours de la décennie 2000-2010, il assure jusqu’à 70 % des ventes de Bénéteau-Jeanneau sur ce marché. Si bien que nombre de plaisanciers d’outre-Atlantique croient que Bénéteau est une marque américaine…

En 2010, les chantiers français produisent près de 55 000 bateaux, pour un chiffre d’affaires qui dépasse les 900 millions d’Euros. Là-dessus, les voiliers habitables assurent plus de 50 % de ce chiffre d’affaires. Avec la constitution d’un tel parc, en France et à l’international, avec les aléas de la conjoncture et les soubresauts du pouvoir d’achat, il n’est guère étonnant qu’un dynamique marché de seconde main se développe. En France, comme dans l’UE et hors Europe.

Dans l’Hexagone, des salons du bateau d’occasion, comme Les Mille Sabords du Crouesty ou le salon de La Napoule (qui accueille aussi les bateaux neufs), connaissent un succès grandissant au cours de la première décennie du vingt-et-unième siècle. La population plaisancière avance en âge, les premiers babyboomers prennent leur retraite et s’orientent vers des achats de raison plutôt que de passion. Le développement fulgurant de l’Internet permet l’apparition de sites spécialisés consultables dans le monde entier et décuple la visibilité des brokers internationaux. Les magazines peuvent mettre leurs petites annonces en ligne. En 2010, un Argus du bateau propose gratuitement 18 000 références sur Internet…

Championne du monde des bateaux neufs, la France devient aussi un centre de négoce international pour les bateaux d’occasion. De quoi envisager avec confiance l’entrée dans la deuxième décennie du siècle.

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