BOC challenge, dans le sillage d’Isabelle Autissier
Isabelle Autissier n’aime pas qu’on la ramène à ces histoires de pionnière et ne manque pas d’affirmer à qui veut l’entendre que si elle a pris le large, c’est bien parce que ça lui plaisait et pas pour revendiquer une place particulière en tant que femme. Son nom apparaît pour la première fois dans les palmarès à l’automne 1987 quand elle franchit en tête, après onze jours de course, la ligne d’arrivée de la première étape de la Mini Transat à Ténérife.
Elle devance une quarantaine d’autres solitaires, dont beaucoup de champions confirmés menant des protos très affutés. Une avarie de gréement juste après le départ des Canaries va malheureusement l’empêcher de marcher à plein régime dans la seconde étape vers la Martinique, mais elle ne lâche rien et réussit malgré tout à prendre la troisième place du classement général final, à moins de quatre heures des deux premiers, Gilles Chiori et Laurent Bourgnon. Avant cette entrée en matière tonitruante, il n’y avait pas eu de course au large mais déjà beaucoup de bateaux pour la quatrième des cinq filles Autissier, née dans l’est parisien en octobre 1956. D’abord la découverte de la mer en baie de Lancieux pendant les vacances, les sorties estivales sur le Vaurien familial, puis les séances d’entrainement hors saison sur la base nautique de Vaires-sur-Marne.
Après, il y a l’arrivée dans la famille d’un Corsaire, suivi d’un Mousquetaire puis d’un Coquelicot (un plan Harlé de 9,60 m en alu partagé avec seize co-propriétaires…) qui ouvre de nouveaux horizons vers l’autre côté de la Manche. Étudiante douée et méthodique, Isabelle devient ingénieure agronome, option halieutique ce qui lui permet d’envisager un métier en contact avec la mer. Elle pose successivement son sac au Guilvinec et à Lorient pour des missions auprès des comités des pêches locaux, puis à La Rochelle où elle prend le large pour de bon : elle rachète une coque de Chatam en acier, met trois ans à finir le bateau et entame en 1985 un tour de l’Atlantique via le Cap-Vert et le Brésil avec des amis, sauf pour la traversée retour qu’elle tient à faire seule. Cette expérience réussie lui donne envie de repartir en solitaire et en course : ce sera l’aventure de la Mini, qu’elle prépare en vivant à bord de Parole, son bateau, pour préserver son modeste budget.
Du rêve au cauchemar
Grâce à ce brillant coup d’essai, elle peut voir plus grand et trouve les fonds pour participer en 1990 au BOC Challenge, course autour du monde en quatre étapes (Newport – Le Cap – Sydney – Punta del Este – Newport) lancée en 1982 à l’initiative de Robin Knox-Johnston. Disputée tous les quatre ans, cette épreuve en solitaire a vu ses deux premières éditions dominées par Philippe Jeantot et a inspiré la création du Vendée Globe. Isabelle Autissier affrète pour l’occasion l’ancien 60 pieds de Jean-Luc Van Den Heede, 3615 MET, rebaptisé Écureuil Poitou Charente, et achève son tour du monde en septième position malgré un démâtage qui l’oblige à terminer la deuxième étape sous gréement de fortune. Elle devient ainsi la première femme à boucler une course autour du monde en solitaire.
Quatre ans plus tard, elle affiche de plus grandes ambitions en revenant sur la ligne de départ du BOC à la barre d’un bateau dernier cri qui lui a déjà permis de battre le record de la “route de l’or”, entre New-York et San Francisco. Dessiné par Jean Berret et Olivier Racoupeau, construit en 1992 chez Pinta à La Rochelle, Écureuil Poitou-Charentes 2 est l’un des tous premiers voiliers à tester un système de quille inclinable en latéral avec des vérins hydrauliques. Ce nouveau tour du monde commence comme un rêve pour Isabelle Autissier qui fait marcher son bateau plus vite que les voisins, jongle avec l’anticyclone de Sainte-Hélène et arrive au Cap, terme de la première étape, avec cinq jours d’avance sur le deuxième, l’Américain Steve Pettengill, et près d’une semaine sur le tenant du titre, Christophe Auguin. Le BOC 1994-95 semble alors joué : qui pourrait rattraper un tel écart ?
La suite prendra, hélas, la forme d’un cauchemar. Isabelle démâte une semaine après le départ d’Afrique du Sud. Tenace, elle installe un gréement de fortune et rallie en une dizaine de jours les îles Kerguelen où elle parvient – avec l’aide de l’équipe de la base scientifique de Port-aux-Français – à mettre en place un mât provisoire qui devrait lui permettre d’arriver à temps à Sydney pour le départ de la troisième étape. Las ! Le 28 décembre, à près de 1000 milles au sud de l’Australie, dans une tempête avec des vents dépassant 70 noeuds, son bateau est roulé par une énorme déferlante : mât pulvérisé, rouf arraché, Écureuil Poitou-Charentes 2 est déjà rempli d’une eau glaciale quand la marine australienne parvient à sauver la navigatrice de ce piège mortel trois jours plus tard.
Héroïque et malchanceuse Isabelle Autissier : après ce BOC qui lui semblait promis, elle sera encore mise hors course à la suite d’un bris de safran de son nouveau 60 pieds, PRB , alors qu’elle était en position de gagner le Vendée Globe 1996-1997…