Vendée Globe, la course au bout de soi

Olivier Peretie
Culture
Vendée Globe, 1992 ©Gilles Martin-Raget

«Parce qu’il est là !» Ainsi répondait l’alpiniste anglais George Mallory quand on lui demandait pourquoi il tenait tant à gravir l’Everest. Les treize marins qui s’élancent des Sables d’Olonne le 26 novembre 1989 sous un glacial vent de nord-est pour disputer le premier Vendée Globe Challenge, son appellation de l’époque, n’ont qu’une réponse à la Mallory à opposer à cette drôle de question : «Mais pourquoi donc partir autour du monde à la voile, en solitaire, sans escale et sans assistance ?» Certes, les océans du globe permettent de se prouver que la mer est ronde. Mais y aller tout seul, en course, avec les vagues et les nuages pour uniques compagnons durant trois ou quatre mois ? Pourquoi ?

Cette idée folle a germé trois ans plus tôt dans la tête d’une poignée de navigateurs français, lors d’une escale aux antipodes. Ils disputaient une course en solitaire britannique autour du monde, ponctuées de quatre arrêts au port. Et se disaient que ces descentes à terre cassaient le rythme et coûtaient cher. Pourquoi ne pas rééditer, mais en version régate pure cette fois, la première transhumance globale imaginée près de vingt ans plus tôt par des Anglais, une longue route océanique que le Français Bernard Moitessier avait désertée quand la victoire lui tendait les bras ?

Philippe Jeantot, double vainqueur du tour du monde avec escales, parvint à monter ce défi ultime. Il emportait le soutien du département de la Vendée, de la ville des Sables d’Olonne et de quelques entreprises locales. Tous ignoraient qu’ils créaient ainsi la plus grande, la plus impitoyable et la plus belle des courses à la voile, celle qui devait enflammer l’imagination du grand public pour les décennies à venir.

Parce que l’idée est simple : partir seul des Sables et y revenir après avoir doublé les trois grands caps mythiques du bout du monde, Bonne Espérance, Leeuwin et Horn. Parce que le principe est cruel : toucher terre pour réparer ou recevoir de l’aide au large entraîne l’élimination immédiate. Parce que l’épreuve est effrayante : affronter seul les terribles « Quarantièmes Rugissants » autour de l’Antarctique à bord de lévriers à voile de dix-huit mètres de long exige une audace et une ténacité qui renvoient chacun à ses propres limites et impose de sans cesse se dépasser.

Se dépasser ? Les treize héros lancés dans le premier « Vendée » ont vite constaté qu’il s’agit là de l’ordinaire. Pierre Follenfant subissait une avarie de gouvernail dès la première nuit dans l’infernal Golfe de Gascogne. Il ignorait qu’il allait tourner autour du monde avec une gouverne amputée de moitié. Loïck Peyron se précipitait au secours de Philippe Poupon dont le voilier était couché sur l’eau comme un dériveur de plage, au sud de nulle part. Il manœuvrait -à la voile seule- pour aider son concurrent à redresser sa monture. Patrice Carpentier, privé de pilote automatique, traversait les tempêtes du Grand Sud, rivé à sa barre jour et nuit. Alain Gautier réparait seul une pièce vitale de son mât agrippé tant bien que mal à son espar secoué sans pitié par la grande houle.

Il ne s’agit là que d’un minuscule échantillon des exploits quotidiens réalisés, à l’insu des terriens, par les treize pionniers du premier Vendée Globe, à une époque où n’existaient ni l’Internet par satellite ni les positionneurs GPS.

Titouan Lamazou, artiste, poète et coureur acharné revient aux Sables d’ Olonne le premier après 109 jours de mer. Il remontait le chenal qui court entre les digues acclamé par une foule submergée par l’émotion. Chacun de ses douze compagnons d’une cordée invisible, classé ou non, devait recevoir le même triomphe. Tous venaient d’ouvrir une page d’histoire.

Vendée Globe : arrivée de Titouan Lamazou, 1990, INA

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