La course à la performance
Une génération de régatiers
Le succès du Vaurien dessiné en 1952 par Jean-Jacques Herbulot, et que l’on pouvait acquérir en kit au Bazar de l’Hôtel de Ville (BHV), avant de l’assembler chez soi, avait fait des émules. Six ans plus tard, à la demande de Aristide Lehoerff et Pierre Latxague, moniteurs de voile à la tête du centre nautique de Socoa à Saint-Jean-de-Luz, et qui allait devenir plus tard l’UCPA, Christian Maury traçait les plans d’un nouveau dériveur, le 420.
L’idée était de concevoir un bateau d’initiation facile à mener, mais procurant plus de sensations que le Vaurien en contreplaqué et ses bouchains vifs. Construit en stratifié de polyester renforcé, matériau alors en vogue, le 420 fût proposé avec un mât en spruce (épicéa), et aussi équipé d’un trapèze.
Le 420 : Vacances en mer
Le 420, son pont et ses caissons aux couleurs acidulées, fit vite l’unanimité auprès des stagiaires. Nombre de familles et clubs achetèrent ce joli dériveur de 4,20 mètres pour les vacances en bord de mer. La réussite fût telle que l’architecte proposa à Francis Mouvet de l’optimiser afin qu’il puisse aussi séduire des régatiers – le plus souvent des couples ou des frères et sœurs.
Les équipiers découvraient aussi les joies du trapèze, où «accroché» à un câble, les pieds sur le liston, l’on avait une vision décalée, de la hauteur, et des sensations jusque-là inconnues. Francis Mouvet, infatigable promoteur, et qui régatait avec son épouse, dessina le logo, et créa l’Uniqua, l’association des propriétaires. Bien que plus toilé et mieux accastillé, le 420 «régate» était parfaitement adapté aux gabarits légers.
Lucien Lanaverre qui construisait alors le bateau, fût plus tard rejoint par d’autres chantiers internationaux réputés, comme Roga, Nautivela, Vanguard… Il faut dire que l’IYRU (International Yachting Racing Union) l’instance internationale, allait lui décerner le label mondial, un véritable sésame. De fait, 65 ans plus tard, le 420 est toujours le support des championnats du monde jeunes, et un tremplin incontournable pour les futurs médaillés olympiques…
Le dériveur etait en plein essor, et un «grand frère», allait naître : le 470.
Le 470 et les Jeux Olympiques
Le «quat’ sept» a été également dessiné par un architecte français, André Cornu. Construit à Pessac par Jean Morin, exposé lors du Salon Nautique de Paris en 1963, le chantier avait du mal à suivre tant la demande était forte. Une trentaine de chantiers sur tous les continents, allait le construire, et dix ans après son apparition, il allait devenir série olympique pour les JO de Montréal 1976.
Rapidement appelé à juste titre « le dériveur du juste milieu », il n’était pas qu’un voilier de loisir, tolérant et rapide.
Les jeunes régatiers furent immédiatement séduits par ce bateau qui passait aussi bien entre les mains d’amateurs passionnés que de futurs grands. Aussi précoces que brillants, Yves et Marc Pajot, formés à La Baule au club des Léopards, terminèrent vice-champions d’Europe de la série à seulement 16 et 15 ans. Un an plus tard, les deux frères accrochaient une médaille d’argent aux championnats du monde, cette fois en 505, un dériveur racé et avant-gardiste qui allait voir également défiler l’élite de la voile légère, mais aussi séduire des amateurs rêvant de barrer une «Ferrari» !
Le 505 : un bateau plus imposant
Au Cercle de la Voile de Paris sur la Seine à Meulan, là où ont avaient eu lieu les épreuves de voile lors des Jeux olympiques de 1924, Marcel Buffet fût le meilleur ambassadeur du «roi des dériveurs». Le sublime «cinquo», dessiné par John Westell en 1954, ne sera pourtant jamais olympique, «coincé» entre le 470 et le Flying Dutchman. Aujourd’hui encore, le 470 poursuit sa formidable carrière et sera aux Jeux olympiques de Paris 2024, mené pour la première fois par des équipages mixtes.
Plus lourd et plus toilé, aisément identifiable par son foc rouge, le Ponant ne passait pas inaperçu sur les plages, et conquit un public désirant se faire plaisir sur un dériveur plus sage.
Nouveau temple de la régate
L’engouement pour la régate était tel que la SRR, lança dès 1960 la Semaine de La Rochelle. Plus de 1 000 concurrents allaient converger lors du pont de Pentecôte vers la cité millénaire. Quelques années plus tard, les voiliers habitables IOR (International Offshore Rule), de la classe I à V, vinrent se mêler à la fête, bouclant l’épreuve par le tour de l’île de Ré. L’IOR, fût assurément une jauge créative à l’adresse des architectes navals, le but étant de la contourner pour faire des bateaux toujours plus performants. Avec Rabbit, Tina ou Arcadia, Dick Carter et Rod Stephens enfoncèrent le clou. Mais il ne suffisait pas d’avoir les meilleurs architectes du moment. La fabrication était essentielle.
Arcadia III : l’œuvre de Félix Silvestro
Ce fût le cas d’Arcadia III construit en acajou à Nice en 1969 par Félix Silvestro, considéré par la planète voile comme l’un de ces génies de l’ébénisterie navale. Lors d’un déplacement aux Etats-Unis, Jacques Médecin, alors maire de Nice, rencontra son homologue de New York, qui lui dit alors : «comment va Félix ?» Réponse gênée de l’édile niçois, qui n’avait jamais entendu parler d’un quelconque Félix au sein de ses proches. Il demanda discrètement à ses conseillers de se renseigner sur ce « Monsieur Silvestro », que tenait en haute estime le maire de New York et l’architecte naval Rod Stephens, disant de lui qu’il était un véritable artiste du bois… Arcadia le confirma. La coque en bordé d’acajou sur des varangues inox ressemblait à de la marqueterie, selon la technique du maître, baptisée « mili Silvestro ». Cinquante ans plus tard, la coque est comme au premier jour.
L’effet Eric Tabarly
Il y eu clairement un «effet» Tabarly depuis la victoire du jeune Enseigne de Vaisseau dans la Transat anglaise de 1964, et pas que chez les « mangeurs d’écoute » du dimanche ! Le polyester et le sandwich balsa étaient de mieux mieux maîtrisés, les voiles en Dacron de plus en plus travaillées. L’aluminium fit son apparition sur les espars. L’architecte hollandais Ericus Gerhardus Van de Stadt lança au début de la décennie le premier véritable voilier habitable de course – croisière. Il mesurait 9,30 mètres.
En Angleterre, le Royal Ocean Racing Club (RORC), incontournable depuis des années, devint un peu la patrie de la course croisière. John Illingworth, Rod et Olin Stephens, ou encore Dick Carter étaient courtisés par des propriétaires, leurs bateaux, non seulement beaux et performants, mais robustes lourds et marins, à l’aise contre le vent dans la brise.
Sur les courses à la journée, les tacticiens avaient la main afin de placer au mieux le bateau selon les variations du vent et la position des adversaires. Lors des parcours côtiers, le navigateur du bord entretenait l’estime à l’aide d’un compas de relèvement et d’une Règle Cras… et lors des épreuves au large, alors que les systèmes de positionnement du type Loran, Decca ou GPS n’existaient pas encore, le sextant était la seule possibilité de se positionner, à condition d’avoir de la visibilité. Et ces bateaux «bons rouleurs bons marcheurs» étaient aussi efficaces face au vent que volages quand la brise venait de l’arrière sous spinnaker.
Le Muscadet : Démocratisation de la course croisière
Comme le Corsaire signé Herbulot, le Muscadet d’un mètre plus grand, construit en contreplaqué marine par le chantier Aubin, possédait le même «ADN». Ses formes anguleuses et son bouchain vif provoquaient pourtant railleries de la part d’esthètes ne jurant que par Herreshoff, Fife ou Stephens, dont les voiliers possèdaient des lignes aussi pures que tendues. N’empêche, le Muscadet dessiné par l’architecte Philippe Harlé, allait révolutionner la course croisière. Une copie du James Cook Trophy, véritable championnat du monde de course au large par nation de trois bateaux vit le jour. Cette épreuve attirant les meilleurs régatiers du moment, était réservée aux unités entre 6,50 mètres et 9,50 mètres, au sein du Groupement des Croiseurs Légers (CGL) et Junior Offshore Groupe (JOG). Au CGL, on trouvait aussi bien Gérard Petipas, officier de Marine Marchande et navigateur attitré de Tabarly, qu’Alain Maupas, skipper officiel des voiliers Gitana du baron Edmond de Rothschild.
La voile habitable n’était pas uniquement réservée à une élite fortunée, et les clubs fleurissaient le long du littoral mais aussi sur les plans d’eau intérieurs. Les grandes épreuves comme Cowes Dinard ou la Semaine Internationale de la Voile de Marseille (SNIM) s’ouvraient à la fois aux professionnels du nautisme mais aussi aux amateurs. On y croisait notamment le Muscadet, mais aussi le Super Challenger dessiné par André Mauric, ou encore l’Arpège conçu et construit par Michel Dufour. Notamment mené par Laurent Cordelle, futur architecte naval et brillant régatier, le Muscadet au nom de Cul Sec et sur lequel officiait Philippe Harlé, remporta toutes les régates possibles.
Mieux, ce voilier aussi rustique que marin, allait disputer quelques années plus tard, la Mini Transat, transatlantique en solitaire initiatique réservée à des «coques de noix» de 6,50 mètres, et mettre le pied à l’étrier à nombre de grands navigateurs comme Jean-Luc Van den Heede…
Ce fût le début d’une ère où de jeunes architectes aussi insouciants qu’épatants, allaient concevoir des prototypes IOR et des voiliers de course croisière à la fois novateurs et séduisants. Ils avaient pour nom Jean-Marie Finot, Michel Joubert, Jean Berret, Philippe Briand, Britton Chance, Rob Humpreys, Bruce Farr… et allaient marquer durant longtemps la voile en habitable.