Les effets de la crise rebattent les cartes

Gérald Guétat
Économie
Miami Boat Show, 2023
Le marché de la plaisance à moteur, très sévèrement impacté à partir de 2008 par la chute des marchés financiers aux Etats-Unis, retrouve le chemin de la croissance grâce à la reprise économique mondiale alors que la situation tarde à s'améliorer en France.

Face à la baisse brutale de son chiffre d’affaires vers la fin de la décennie 2000-2010, le numéro un français du secteur a pu réagir très efficacement grâce à des décisions rapides et à sa solide trésorerie. Le groupe Bénéteau a pu ainsi s’attacher à aider son réseau commercial à écouler ses stocks tout en travaillant à sortir de nouveaux modèles dans de courts délais pour stimuler ses ventes. Cette stratégie s’est avérée payante sur ses principaux marchés alors que l’entreprise s’est aussi mise en quête de croissance externe pour profiter des opportunités de reprise de chantiers étrangers malmenés par la crise.

Cependant, la situation générale est restée très préoccupante en France avec une baisse persistante du chiffre d’affaires dans le motonautisme pendant toutes les premières années de la décennie 2010-2020. Ailleurs dans le monde, le rétablissement plus rapide des économies a cependant permis aux marques françaises les mieux implantées de tirer leur épingle du jeu, alors que les acheteurs français continuaient à privilégier la prudence en retardant leur décision de nouveaux achats. Avec le recul, une addition de plusieurs facteurs défavorables pouvait expliquer la longue déprime du marché intérieur, comme l’ont avancé des études de cabinets spécialisés, insistant à la fois sur l’inquiétude des clients potentiels devant les perspectives économiques et sur la difficulté à trouver des places de port sur les littoraux. La question des infrastructures insuffisantes est donc revenue une nouvelle fois sur le devant de la scène.

Attirer de nouveaux clients

Ces mêmes études ont aussi pointé d’autres causes aux difficultés conjoncturelles et structurelles du marché français alors que les constructeurs s’interrogeaient sur leurs options devant la baisse de leurs marges. Le vieillissement de la population est alors apparu comme un facteur incontournable, avec, surtout pour les petites unités de 5 à 8 mètres, un taux de renouvellement en baisse alors que les générations plus jeunes avaient d’autres priorités que d’acquérir et d’entretenir un bateau. C’est le secteur de l’occasion qui en a profité le plus, porté par la généralisation progressive de l’usage de l’internet et son accès immédiat à un panorama quasi exhaustif de l’offre dans toutes les catégories. La hausse du prix des bateaux a constitué également un frein évident à l’arrivée de nouveaux pratiquants, surtout pour les unités de moins de 7 mètres. Dans le même temps et à l’autre extrémité des catalogues, la tendance à l’augmentation des dimensions des coques a commencé à profiter aux chantiers proposant des modèles de plus en plus haut de gamme à une fraction âgée de la population disposant d’importants moyens financiers.

En tirant leur production vers le haut dans la décennie 2010-2020, les principales marques françaises ont misé évidemment sur une augmentation de leur chiffre d’affaires et de leurs marges tout en mettant en valeur leur savoir-faire face à la concurrence de pays à coûts de main-d’œuvre inférieurs comme la Pologne. Les constructeurs allemands comme Fjord et Bavaria en ont fait de même, imitant en cela les Italiens toujours aussi influents en matière de tendance dans la plaisance à moteur. Le motonautisme est une industrie à faibles volumes (comparée à l’automobile par exemple), produisant en grande partie à la main et la poussée vers la hausse des tailles et des prix ne sera sans doute pas réversible à l’avenir. Mais, pour être soutenable, elle demandera des conditions économiques très favorables, en France comme à l’exportation, pour écouler sa production en attirant une nouvelle clientèle plus jeune à fort pouvoir d’achat.

Achat de REC Boat, 2014

Percée décisive de Bénéteau aux Etats-Unis

Si la situation en France est restée problématique jusqu’au milieu de la décennie 2010-2020, les États-Unis, premier marché mondial, ont donné des signes de forte reprise, annonciateurs généralement d’un retour à une météo économique plus clémente dans le monde, et en Europe en particulier. De fait, à partir de 2015, les ventes ont recommencé à progresser en Allemagne, en Scandinavie et en Europe centrale, tout en restant encore faibles dans les pays d’Europe du sud, Espagne, Italie et Grèce plus durablement touchés par la crise financière. Un an auparavant, au premier semestre 2014, une nouvelle sans précédent a été annoncée par Bénéteau avec son acquisition de RecBoats, important constructeur motonautique américain.   

Déjà implanté en Caroline du Sud avec son site de production de voiliers situé à Marion, le groupe vendéen, en quête de croissance externe, a choisi de s’attaquer au gigantesque marché américain du bateau à moteur. Dans sa stratégie, l’option d’une acquisition lui permettait de profiter plus vite du rebond des ventes dans le pays. C’est ainsi que la reprise de RecBoats lui a donné immédiatement accès à un portefeuille de marques aussi anciennes que très populaires comme Four Winns, Glastron, Wellcraft et Scarab. Le groupe Bénéteau a ainsi quadruplé son réseau commercial aux Etats-Unis, une opportunité de grande envergure dans la perspective d’élargir son offre dans le pays en l’étendant à l’ensemble de ses gammes. Dès 2017, profitant de l’adaptation de l’outil industriel de RecBoats à ses normes, des NC 895 de chez Jeanneau ont commencé à sortir du site de Cadillac dans le Michigan. Un tel accomplissement a réalisé un vieux rêve des fondateurs du groupe français de voir une de ses marques historiques produite dans le pays fondateur de l’industrie de la plaisance à moteur, de quoi stimuler la créativité technique et commerciale. Le numéro un mondial Brunswick a été désormais placé en ligne de mire du groupe Bénéteau.

Alors que la croissance du marché français restait fragile, le développement hors de l’hexagone s’est donc vu confirmé comme la solution la plus adaptée à assurer la pérennité des chantiers. A l’approche du tournant de la décennie 2010-2020, dans un secteur où les produits ne sont pas de première nécessité, l’incertitude récurrente face aux conjonctures économiques est demeurée la menace principale, mais loin d’être la seule…

Boat show, San Diego, California, 2020

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