Courses transocéaniques : Entre deux mondes

En ce début de XXIe siècle, un coup d’oeil sur les listes des participants à la Volvo Ocean Race et à la Route du Rhum suffit à montrer les différences de pratiques et de cultures. La première est une course autour du monde en équipages qui se dispute en neuf étapes (elle n’en comptait que quatre à ses débuts en 1973 sous le nom de Whitbread Round the World Race). On trouve dans l’édition 2001/2002 des équipages venus d’Allemagne, d’Australie, des États-Unis, des Bermudes, de Norvège et de Suède, mais pas un seul bateau français. À l’inverse les concurrents étrangers font figure d’exception parmi les cinquante-huit solitaires au départ de la Route du Rhum 2002. Ce qui n’empêchera d’ailleurs pas deux d’entre eux – les anglais Ellen MacArthur et Mike Golding – de s’adjuger les deux premières places dans la catégorie des monocoques IMOCA. Mais ces participations étrangères, aussi marquantes soient-elles, restent marginales et ne sont pas représentatives d’un véritable engouement pour ces épreuves hors de nos frontières.
La rupture entre les deux mondes de la course au large – l’anglosaxon et le français – remonte loin. On peut la situer à la fin des années 1970, lorsque les organisateurs anglais de l’OSTAR, choqués par la démesure de certains projets – en particulier le monocoque géant d’Alain Colas, Club Méditerranée, long de 72 m – décident de limiter la taille des bateaux. La Route du Rhum naît pour partie en réaction à cette évolution et son succès populaire va se révéler déterminant à terme : les sponsors affluent, un véritable écosystème se développe autour de l’univers de la course en solitaire “à la française” qui fait vivre au fil des années de plus en plus de monde – coureurs, préparateurs, architectes, chantiers spécialisés – attirant les meilleurs talents de l’hexagone… lesquels se détournent logiquement des courses internationales en équipages. De la fin des années 1980 à celle des années 2000, la Whitbread (devenue Volvo Ocean Race à partir de 2001) continue à rassembler tous les quatre ans l’élite mondiale de la course au large… en l’absence presque totale de bateaux français.

Des évènements plus médiatisés
Cette spécialisation de la course au large en France peut s’expliquer en partie par la forte médiatisation des épreuves en solitaire. La voile olympique et les courses “classiques”, très bien suivies par la presse et la télévision dans les pays anglosaxons et en Europe du nord, sont jugées chez nous trop compliquées pour intéresser le grand public et donc peu traitées. D’où cet étrange paradoxe : un champion olympique de voile français a toutes chances d’être moins connu qu’un participant mal classé d’une course transocéanique en solitaire…
La vie de la course transocéanique en France se concentre donc essentiellement sur deux pôles : la Route du Rhum, entre Saint-Malo et Pointe-à-Pitre et le Vendée Globe, autour du monde sans escale par les trois caps. Le départ de l’une comme de l’autre est donné en alternance tous les quatre ans, les années paires. À ces rendez-vous qui monopolisent une bonne part de l’attention s’ajoutent la Transat Jacques Vabre (anciennement Route du Café), disputée en double, avec un départ du Havre tous les deux ans, les années impaires et quelques autres courses à la pérennité aléatoire. La Transat anglaise (OSTAR), pionnière du genre depuis 1960, a pour sa part perdu de son prestige depuis les années 1990, notamment du fait de la concurrence des épreuves françaises.
Il faut ajouter à ces évènements phares deux courses qui n’ont cessé de prendre de l’importance au fil des décennies : la Mini Transat ou Transat 6,50 et la Transat AG2R (qui deviendra ensuite la Transat Paprec). La première est à l’origine – en 1977 – une création britannique qui a si bien séduit de ce côté-ci de la Manche que son organisation est passée sous contrôle français à partir de 1985. Réservée, comme son nom l’indique aux voiliers dont la longueur ne dépasse pas 6,50 m, la Mini est peu suivie par la presse grand public mais son impact est énorme dans le milieu : une bonne part des grands noms de la voile française sont passés par là. Disputée tous les deux ans, elle rassemble couramment plus de 80 concurrents.
La Transat AG2R, née en 1992 et disputée en double tous les deux ans entre un port breton et les Antilles, présente la particularité d’être une des rares courses transocéaniques courue en monotype. En l’occurrence le Figaro Bénéteau, remplacé à partir de 2003 par le Figaro Bénéteau 2.


Le développement d'une filière française
À défaut de motiver la concurrence internationale, la polarisation sur les épreuves “made in France”, de préférence en solitaire, a au moins eu le mérite de permettre aux professionnels français de développer une véritable expertise dans les domaines concernés. Alors que vingt ans plus tôt les multicoques de référence étaient dessinés par des architectes américains ou anglais – Dick Newick et Nigel Irens principalement – les trimarans ou catas à succès des années 2000 sont pour la plupart conçus en France, notamment par le cabinet VPLP Design (fondé en1983 par Marc Van Peteghem et Vincent Lauriot-Prévost) qui a trusté un nombre impressionnant de victoires entre les années 1990 et 2010, mais aussi par Gilles Ollier, Marc Lombard ou encore Guillaume Verdier.
Du côté des coureurs, la star des courses transocéaniques dans ces années 2000 reste sans conteste Michel Desjoyeaux, premier de la Route du Rhum en 2002, puis de l’OSTAR en 2004, et double vainqueur du Vendée Globe (en 2000/2001 et 2008/2009). Sans oublier au tableau d’honneur, Francis Joyon, vainqueur de l’OSTAR 2000, mais aussi Lionel Lemonchois et Franck Cammas, respectivement vainqueurs en 2006 et en 2010 de la Route du Rhum. Avec également une mention spéciale pour l’incontournable trouble fête britannique : non contente de gagner en monocoque le Rhum 2002, Ellen MacArthur s’est offert le luxe de boucler sa traversée quasiment dans le même temps que le premier trimaran, comme pour faire un pied de nez à la logique de l’histoire… Même si cet exploit tient pour beaucoup à un concours de circonstances (avaries à répétition et abandons pour la plupart des multicoques), il préfigure les évolutions de cette décennie 2000 : désaffection progressive des trimarans de 60 pieds ORMA (Ocean Racing Multihull Association) qui tenaient la vedette depuis les années 1990 et montée en puissance des monocoques 60 pieds IMOCA. Cette dernière catégorie, plus dynamique et populaire que jamais grâce au Vendée Globe, joue maintenant sa propre partition dans les classiques transocéaniques avec un classement à part tout aussi valorisé que celui des multis.


