Évolution des carènes

Jacques Stouls
Innovation
Hors Bord classe C 500 c/c, 1962 ©Guy Lévèque
Exploration des Carènes Maritimes: Du Début du XXe Siècle aux Courses Extrêmes. Découvrez l'évolution des designs, des carènes inspirées par le commerce aux catamarans aériens. Des courses mythiques à la puissance des moteurs, plongez dans l'univers fascinant de la course motonautique et de ses avancées technologiques marquantes.

Étraves verticales : Navigation optimale

Dès le début, les yachts de croisière ont eu une carène inspirée par les bateaux de commerce : le moteur pousse le bateau en déplaçant de l’eau. C’est toujours le cas lorsque le bateau est lourd avec une puissance modeste. Le meilleur rendement est obtenu avec une grande longueur à la flottaison et une largeur minimale. C’est pour cela que l’on observe des étraves verticales. Mais chaque augmentation de vitesse demande une augmentation de puissance importante.

Si l’on diminue le poids, l’étrave fend l’eau et s’élève au-dessus de la surface. La vague d’étrave recule. La coque est semi-planante (ou à semi-déplacement) et traine de moins en moins d’eau. Certains “cruisiers” ont de telles carènes. Vers 1906 une fine coque de 18 m fut propulsée par 3 moteurs V 8 de 200 ch. Mais le poids embarqué et une coque profonde, ne permettaient pas de dépasser la vague d’étrave.

Lorsque la coque monte sur cette ondulation, la carène devient planante ; elle hydroplane. Le bateau déjauge. Il va vite, mais il est inconfortable dans le clapot. Les premiers hydroglisseurs avec des fonds plats, datent de 1898, mais sont réputés ingouvernables à moins de les équiper de dérives et de safrans. Les coques plates nécessitant moins de puissance que les carènes à déplacement, les moteurs hors-bords légers sont devenus populaires. Un hors-bord DeDion de faible puissance voit le jour en 1905 et au cours des années suivantes entre 1920 et 1940, les moteurs hors-bord Lutetia, Goïot, Monet-Goyon (dérivé des motos) seront célèbres, avant l’arrivée des moteurs américains et japonais.

Le Salon Nautique de Paris, 1959 ©Guy Lévèque
Vue d'un atelier de montage aux usines Goïot ©Guy Lévèque

3 Points : Révolution des 50's

Sur les plans d’eau très calmes, on développe des carènes spéciales appelées “3 points” (racers, propriders). Vue de dessus, la coque a une allure de “pelle”, large à l’avant et très étroite à l’arrière, avec un pontage plongeant. Deux patins latéraux d’environ 15 cm de haut, dépassent du fond et vont de l’avant jusqu’au milieu de l’embarcation. L’arrière ne touche plus l’eau. L’hélice est le troisième point de contact avec l’eau. La coque est très instable et malgré une petite dérive, dérape beaucoup dans les virages. Il faut anticiper.

Plusieurs catégories vont voir le jour dans les années 1950. Les moteurs issus de l’automobile sont parfois très puissants et le pilote est assis à l’arrière de ces “racers” très rapides. Avec un moteur hors-bord la catégorie internationale est le C 500. Le pilote est couché, tête vers l’avant derrière un petit pare-brise.

Pour adapter un moteur hors-bord sur un canoé-kayak, on a placé un tableau à la place de l’arrière pointu. C’est ainsi que l’on a vu Colette Pétard, la fille du constructeur de kayaks pliants Lapon, briller aux 6 heures de Paris avec un 25 ch. Les constructeurs de canoé comme Rocca, Jeanneau, Matonnat, Kirié, vont abandonner les coques en bois, rondes et instables, pour des bateaux de plaisance, plus larges à fond plat, moulés en polyester. Oreste Rocca fut champion du monde de vitesse en 1953, 55, 56.

Les Catamarans à Grande Vitesse

Dans les années 1960, le Prince Michel de Bourbon Parme, le Comte Adrien Balny d’Avricourt, vont utiliser en course, des Zodiac avec des fonds remontés ; ce sont les premiers catamarans à moteur. La compétition s’engage entre Zodiac et Aérazur. Vers 1963 les fonds remontent encore de 10 à 25 cm. Des sortes de patins déflecteurs en caoutchouc, leur permettent même de filer à près de 90 km/h avec 50 ch. (850 cm3).

La partie centrale du catamaran fait office d’aile qui soulève le bateau à partir d’une certaine vitesse : environ 40 km/h. Le bateau accélère et a tendance à s’envoler face au vent. Le pilote déplace en permanence le haut de son corps, pour maintenir l’équilibre avec son poids. Un pilotage tout en finesse selon le vent et le plan d’eau.

Dans les années 1966-70, sur le lac de Côme, le constructeur Renato Mollinari, s’est inspiré des coques 3 points, pour soulever le bateau et trainer moins d’eau. On taille deux patins en V à l’avant et presque plats vers l’arrière, on ajoute des virures, des redans et un step devant le moteur. Le fond est ainsi remonté d’au moins 25 cm. Le vent s’engouffre entre les patins et grâce à cette sorte d’aile porteuse, le bateau monte, monte … à partir d’une certaine vitesse. Plus il monte, moins il a de contact avec l’eau, plus il va vite. Selon les cylindrées de moteurs, on attient de 150 à plus de 200 km/h. Le pilote dispose sur le volant du bouton de “trim” pour modifier l’inclinaison du moteur selon la position face ou dos au vent. Les instants d’inattention coûtent cher ; le bateau s’envole et se retourne. Faire un tour complet est un moindre mal, mais si on retombe à l’envers, le bateau de construction légère part à la casse et coule. C’est pourquoi aujourd’hui, les catamarans de course sont équipés de cellules de survie renforcées, avec un équipement respiratoire.

Particularités et appendices

Les coques à clins scandinaves sont très anciennes. Les planches longitudinales de la coque sont montées en se superposant. Cela donne, comme des virures, de la portance et plus de stabilité en mer sur des coques un peu trop rondes.

Le bouchain est un angle vif entre le bordé et le fond. Il est fréquent pour les coques en contreplaqué. Une coque peut avoir plusieurs bouchains. Cela donne de la stabilité un peu comme des carres sur des skis et le bateau s’appuie dessus.

Les redans sont d’étroites parties plates de la coque de l’avant jusqu’au milieu ; un peu comme des virures plates accentuées, pour rabattre les embruns, améliorer le passage dans les vagues, aider au déjaugeage.

Les steps s’appellent parfois redans, mais n’ont pas la même utilité. C’est une “marche” dans les fonds, qui décroche les filets d’eau et réduit la surface mouillée. Un peu comme si le bateau était plus court. Une coque 3 points est une coque à redan. Maintenant on dit step. Le step peut ne concerner que le bouchain, ou toute la partie centrale de la carène. On peut utiliser ce step pour guider de l’air sous la carène centrale. Cela devient assez fréquent sur les cabin-cruisers qui ont un ou plusieurs steps.Les moteurs sont souvent placés en porte à faux à l’arrière, comme si la coques était raccourcie ; ce step réduit la trainée.

Les virures sont de petites excroissances plates le long de la carène qui renforcent les fonds, canalisent les filets d’eau et augmentent la portance. Elles aident au déjaugeage. Pour améliorer le passage dans une mer formée, elles sont parfois en V plutôt qu’en L.

Toutes ces subtilités apportent une stabilité indispensable aux coques en V, qui ont souvent tendance à trop se coucher latéralement.

Course Extrême: Puissance sur Mer

En 1906 à Monaco les courses pouvaient atteindre 100 ou 200 km. en mer. Les épreuves mythiques de Calais Douvres, Miami-Nassu (1956) ou Cowes-Torquay-Cowes (1961) Viaregio-Bastia-Viaregio (1962), ont couronné les plus grands pilotes : Don Aronow, (fondateur de Formula, Donzi, Magnum, Cigarette), Richard Bertram, Jim Wynne et des architectes comme : Ray Hunt, Don Shead, Renato “Sonny” Levi. Ces trois architectes sont à l’origine des coques Delta (un avant fin et un arrière large) avec un V profond qui permet d’obtenir en mer un amortissement des vagues. En schématisant, un bateau de lac a un V ouvert, dont l’un des côtés fait 10° (ou moins), par rapport à l’horizontale ; il va vite mais est inconfortable en mer car il saute de vagues en vagues. Pour obtenir une coque de course en mer, il faut envisager 23° à 25°. Elle va moins vite sur plan d’eau calme et absorbe plus d’énergie, car elle est plus enfoncée dans l’eau. Mais quand elle monte sur son V, elle fait des merveilles en mer en s’appuyant sur son bouchain et ses virures. La transmission se fait par des arbres mobiles (haut/bas), les safrans sont indépendants et des hélices semi-aériennes.

Runabout Anglais 1930

Après 1990, ce fut l’arrivée des catamarans avec un moteur dans chaque coque, un équipage de deux personnes et des vitesses de plus de 250 km/h. Les bateaux sont lourds et risquent moins de s’envoler.

On a assisté à une débauche de puissance des moteurs in-bord, parfois jusqu’à 4000 ch., ce qui a amené l’union internationale (UIM) à revoir les règlements des diverses classes, très en faveur aux USA. Classe 1 : coques de 12 à 14 m, 2 moteurs Mercury Racing de 1100 ch. (2200 ch. tout de même !)

Il y a une certaine analogie dans l’évolution des coques à voile et à moteur, mais encore ne faut-il pas aller trop loin : – la longueur à la flottaison n’a pas d’intérêt sur des coques planantes ou semi-planantes, – si l’on ne dépasse pas 40 km/h, un catamaran va moins vite qu’un monocoque car il y a plus de surface mouillée, – une coque ronde et plate est une aberration sur un bateau “offshore”. Les foils sont aujourd’hui très à la mode sur les voiliers. C’est pourtant pour des bateaux à moteur que le premier brevet fut déposé en France en 1869, et le premier “hydroptère” expérimenté en 1898. Il y a des hydroptères partout dans le monde pour le transport de passagers et au sein de certaines marines militaires. Mais on est plus près de l’aéronautique que de la mer.

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