Premiers industriels

Gérald Guétat
Innovation
Jusque dans les années 1960, quiconque veut décrire un canot à moteur dit avoir aperçu un "Chris-Craft", comme on parle aussi d’un Frigidaire ou d’un Bic. Fondé en 1922, le chantier américain a été la première entreprise du secteur nautique à atteindre la dimension industrielle et mondiale.

Aux sources de l’industrialisation

D’autres initiatives de construction en série ont été lancées dans les années 1920 et 1930, comme celles de grands noms de l’automobile, tels Dodge aux États-Unis ou Peugeot et Delage en France, mais sans le succès escompté.

La réussite sans précédent de Chris-Craft ne doit pas faire oublier ses débuts modestes et l’orientation initiale du chantier vers la compétition. En effet, ses coques de course comptent parmi les premiers hydroplanes de l’histoire, approchant de la mythique barrière des 100 kilomètres à l’heure dès la période de la Première Guerre mondiale.

Abandonnant la scène sportive au tout début des années 1920, le chantier Chris Smith & Sons se tourne alors résolument vers la plaisance tout en restant une affaire familiale installée à Algonac, Michigan. Christopher Smith, le patriarche et fondateur, avec ses quatre fils et collaborateurs Jay W., Bernard, Owen et Hamilton, sont les premiers à concevoir le potentiel du marché de la plaisance à grande l’échelle.

La révolution nautique

Avec plus de 200.000 unités produites en près de six décennies, la rationalisation de la fabrication des canots automobiles Chris-Craft répond, dès l’origine, à une demande croissante de mobilité générée par la prospérité économique américaine après l’Armistice de 1918. La tentation d’achat de biens non indispensables est progressivement stimulée par le crédit à la consommation.

Chris Barrell Back, 1935

Aux États-Unis, l’expansion du secteur automobile ne précède que de quelques années celle du motonautisme. Les premiers besoins comblés en matière de déplacement sur quatre roues, il devient alors tentant de proposer un nouveau mode de loisirs dans un immense pays servi par une hydrographie très abondante. La marque Chris-Craft va savoir, la première, générer et satisfaire cette soif croissante de liberté, de plein air et de vitesse.  

Alors que les bateaux de course de l’époque (et leurs rares versions “tourisme”) sont généralement dotés d’un cockpit de pilotage à l’arrière, avec le ou les moteurs à l’avant, les Smith perçoivent rapidement la justesse de vue de quelques précurseurs isolés qui installent les commandes dans un habitacle situé davantage vers l’avant avec le moteur derrière. En dupliquant, à bord, les attributs d’une automobile confortable, tout est réuni pour rassurer le futur acheteur habitué à conduire fièrement sa voiture. 

Chris Craft Cruiser, 1957

La gamme qui redéfinit le nautisme

La première publicité de Chris Smith & Sons qui paraît en avril 1922 dans le magazine Motor Boat, annonce déjà l’existence d’une amorce de gamme avec un runabout de 24 pieds (7,20 m) et deux versions d’un modèle de 26 pieds (7,80 m). Peu après, son offre compte rapidement de nombreux modèles avec des options, des nouveautés annuelles et des pratiques de marketing héritées de l’automobile. Un réseau de concessionnaires dans tout le pays, les paiements échelonnés et l’exportation complètent la panoplie de cette success story.

Ateliers Chris Craft ©Guy Lévèque
Lancement du Chris Craft 19© Guy Lévèque

De l’épanouissement à son déclin

À partir de 1946, le chantier historique d’Algonac ne cesse de croître et de créer de nombreuses “Divisions” industrielles, faisant appel à d’excellents designers, rachetant des chantiers existants dans le Mid-West ou fondant des sites nouveaux en Floride, pour couvrir finalement tout le spectre de l’offre nautique. Le catalogue annuel de la firme devient source d’inspiration pour tous les petits chantiers du monde industrialisé, en particulier en Europe, allant du modeste dinghy hors-bord en kit de contreplaqué vendu par correspondance, au luxueux motor-yacht de plus de 66 pieds (20 m) en passant par des runabouts utilitaires ou de luxe de 16 à 26 pieds (4,50 à 7,80 m), construit à clins ou en bordé classique, des cabin-cruisers et jusqu’à quelques voiliers habitables en fibre de verre.

Chris Craft 47 ©Guy Lévèque

Ce gigantisme aura raison de l’existence même de la firme happée par une succession de conglomérats plus ou moins cohérents, suivant la mode des diversifications ambitieuses des années 1970. Chris-Craft va devoir réduire de plus en plus son offre jusqu’à pratiquement disparaitre des écrans radars et renaître, beaucoup plus modestement, au début des années 2000.

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