Les Glénans et l’enseignement de la voile

Jean Louis Guery
Culture
Le Cotre des Glénans devant le Havre, 1958 ©Guy Lévèque
Le Centre nautique des Glénans est devenu la plus importante école de voile d'Europe et a révolutionné la plaisance en démocratisant la pratique de la voile dans les années 1960. Prodigué par ces moniteurs bénévoles, comment cet enseignement a de tout temps su évoluer en fonction des progrès techniques et des nouveaux voiliers.

Création du centre nautique

Dans les années 1960, le Centre nautique des Glénans est reconnu comme l’école de voile la plus importante de France et même d’Europe. C’est une consécration pour une organisation née il y tout juste 13 ans. Tout a commencé en 1947 sur l’île du Loch, la plus grande de l’archipel de Glénan. Les fondateurs, Hélène et Philippe Viannay, tous deux anciens membres des réseaux de la Résistance, voulaient apporter à la jeunesse qui avait combattu et dont les études avaient été interrompues par la guerre, un ensemble de moyens permettant de reconstruire sa vie et d’envisager un avenir plus radieux. C’est dans ce but qu’ils créent ce qu’on appellerait aujourd’hui des «centres de loisirs» comme celui de l’île du Loch.

Au début, on ne parle pas encore de voile, on joue au volley-ball sur la plage, on assure l’intendance du groupe, on chante le soir autour d’un feu de bois. Mais dans ce petit archipel, à dix milles au large de Concarneau, la nécessité fait loi. Il faut ravitailler le camp par bateau depuis Concarneau. Achetés au Guilvinec, deux anciens petits cotres assurent cette mission. Il faut apprendre à les manœuvrer, à régler les voiles, à les godiller et à les entretenir. Avec l’aide de quelques pêcheurs concarnois laissés à quai par le déclin de la pêche aux thons, on se forme aux rudiments de la navigation à voile.

Très vite, les jeunes y prennent goût et découvrent les plaisirs de tirer des bords dans le lagon de l’archipel. En 1951, le centre fait l’acquisition d’une douzaine d’Argonautes, petits quillards de 3,80 mètres, et de quatre baleinières achetées à la société nationale de sauvetage. Le centre nautique des Glénans est né et va connaître une extension rapide au-delà de l’archipel avec l’ouverture dans les années 60 de nouvelles bases à Paimpol, sur l’île d’Ars ou en Corse.

À cette époque, à la fin des années cinquante, on parle de yachting et pas encore de plaisance. La voile est un loisir réservé aux élites par le biais de yacht-clubs très guindés. Les voiliers qui permettaient d’apprendre la voile étaient rares, souvent chers et surtout orientées vers la régate et les petites sorties en famille.

On navigue sur des Maraudeurs, des Grondins ou en 5O5 pour les plus sportifs. Et pour les fils et les filles de bonne famille, on finit d’épuiser l’Aile, le Caneton ou le Sharpie de grand papa. Pour les écoles de voile, les bateaux collectifs et pédagogiques étaient à inventer. Philippe Viannay fait alors une rencontre essentielle, à la fois pour le Centre nautique des Glénans mais aussi pour la plaisance en général, celle de l’architecte Jean-Jacques Herbulot.

La révolution du Vaurien et de la Caravelle

Viannay est un homme d’action, inventif et passionné. Il est persuadé que la mer, la voile et la navigation en équipage sont une excellente école de vie. Herbulot est architecte de la ville de Paris passionné de voile et régatier de renom. Son vœu le plus cher est de partager sa passion, de faire que le plus grand nombre puisse goûter aux plaisirs de la voile. Comme l’écrit Daniel Charles, l’historien de la plaisance, «le couple Viannay-Herbulot est un des plus improbables».

L’un professait aux Glénans le trop fort n’a jamais manqué et se méfiait de l’esprit course, l’autre était multiple champion de France et croyait aux vertus de la légèreté.» Mais le non conformisme de ces hommes leur a permis de s’apprécier et de travailler ensemble. Cette rencontre porte indéniablement les prémices de la révolution de la plaisance de l’après-guerre.

Au début des années 50, les Glénans sont à la recherche d’un nouveau dériveur avec un cahier des charges que l’on peut résumer en deux mots : léger, économique. Herbulot se met à sa planche à dessins et conçoit le Vaurien. Un plan d’une grande simplicité et libéré des canons architecturaux de l’époque. Pour la légèreté, il choisit un matériau nouveau, le contreplaqué fabriqué par l’usine Luterma, et pour l’économie, il optimise la taille du bateau pour qu’il soit construit avec seulement trois feuilles de contreplaqué afin de limiter au maximum les chutes. Pourtant, l’adoption du contreplaqué n’est pas une évidence pour Herbulot. Il se méfie de la colle Caurite, la seule à l’époque capable de résister à l’eau. Alors il torture des échantillons, les fait bouillir pendant des heures.

Il aime à dire que son Vaurien est né dans une lessiveuse ! Mais le succès du bateau est immédiat. C’est un dériveur très vivant, simple et pédagogique pour l’apprentissage, bien adapté aussi à la régate grâce à une monotypie stricte. Sa commercialisation va en plus bousculer les habitudes commerciales de l’époque. Songez que le Vaurien était en vente dans les grands magasins, comme celui du Bazar de l’Hôtel de Ville.

Herbulot créera dans les années suivantes, et toujours pour les Glénans, la Caravelle un petit dériveur à marotte et bouchains pour quatre équipiers. Ces deux bateaux ne tardent pas à devenir les standards de l’apprentissage : on commence sur Caravelle avec le moniteur pour les premiers rudiments et l’on passe ensuite sur le Vaurien en qualité de chef de bord ou d’équipier pour se perfectionner.

L'apprentissage de la voile et de la vie en communauté

Dans les années soixante, un stage aux Glénans dure quinze jours. À Penfret et à Drenec les débutants apprennent les rudiments de la voile sur les dériveurs. À Cigogne, les stagiaires déjà aguerris naviguent sur des bateaux plus lourds comme les Cotres et les Dogres. L’enseignement est centré sur la manœuvre et le pilotage. Ces stages ont en commun la découverte du milieu marin et l’apprentissage de la vie en groupe. Un jour sur quatre les stagiaires restent à terre, soit pour assurer la sécurité de ceux qui naviguent, soit pour s’occuper de l’intendance en préparant les repas de la journée.

L’enseignement est assuré par des moniteurs bénévoles dont les connaissances leur ont été transmises par les anciens. Chaque stagiaire étant logiquement appelé à devenir à son tour moniteur. L’originalité de ce mode de transmission des connaissances est qu’il se fait sans test ni examen. Seules comptent l’expérience acquise et la confiance que l’on accorde à ceux qui veulent progresser. En cela le Centre nautique des Glénans se différencie des écoles de voile affiliées à la Fédération Française de Voile où pour être moniteur il faut avoir réussi un brevet d’État ou un Certificat d’aptitude à l’enseignement de la voile (CAEV). Aux Glénans, il n’y a pas de dogme, mais une remise en cause perpétuelle des méthodes d’enseignement. Après le topo du matin, le moniteur embarque avec ses stagiaires et organise les exercices sur le plan d’eau autour de deux ou trois bouées où les virements de bord et les empannages se succèdent.

La principale critique de ce système est que le bagage technique et les qualités pédagogiques du moniteur n’étaient pas garantis. L’autre faiblesse de l’enseignement prodigué aux Glénans est de ne jamais s’être intéressé à la voile de compétition. On préférait valoriser le bon sens marin et la connaissance du milieu maritime plutôt que la régate. Dès lors, les moniteurs se sont facilement accommodés d’approximations comme celles qui consistait à dire que pour bien régler sa voile il fallait la border «à la limite du faseyement». L’affirmation n’est pas fausse, mais elle manque de nuances et ne peut satisfaire un compétiteur.

Le centre nautique des Glénans, 1958, INA

De la croisière à la course-croisière

Pour l’apprentissage de la croisière, Jean-Jacques Herbulot dessine le Corsaire, un petit dériveur lesté et quelques années plus tard le Mousquetaire. Deux bateaux qui sont pour beaucoup de plaisanciers les supports des premières croisières. Aux Glénans, elles se font au départ de Concarneau ou de Paimpol.

Elles sont organisées en flottille de quatre bateaux identiques (Mousquetaire, Cotres, Dogres ou Nautiles). Les stagiaires embarqués sillonnent la côte de Brest à La Rochelle ou de Saint-Malo à Ouessant. Pour les équipages, la vie à bord est particulièrement spartiate puisque les bateaux n’ont aucun confort avec une cuisine à minima (un simple réchaud à pétrole, pas d’évier, et l’eau douce en jerricans), des couchettes «cercueil» sans intimité, et surtout ni douche, ni WC à bord. Pour la manœuvre les bateaux sont aussi très peu équipés, sans propulsion mécanique, souvent sans winches et sans guindeau.

Les Glénans développent également une flotte de bateaux hauturiers, avec des Frégates (Plan J-J Herbulot), un cotre bermudien de 12 mètres, la fameuse Sereine (aujourd’hui classée monument historique) et qui sera pendant des années le plus gros bateau des Glénans. Son programme de navigation est ambitieux avec l’Écosse, l’Angleterre, l’Irlande, l’Espagne et les Açores.

Avec ces bateaux de croisière, le Centre Nautique des Glénans devient une excellente école pour la navigation et la manœuvre. Les chefs de bord de ces bateaux hauturiers poussent les Glénans à s’intéresser à la course-croisière, considérant qu’elle est un excellent moyen de formation et d’échanges entre équipages. C’est dans cet esprit que les Glénans participent à la fondation de la Sail Training Association qui organisera à partir de 1956 la course des grands voiliers, réservée aux bateaux-écoles de tous les pays. Cette même année, sur la parcours Torbay-Lisbonne, Sereine, seul voilier français engagé, se classe troisième. Six ans plus tard, les membres du club financent la construction d’un voilier de course dessiné par l’architecte John Illingworth, le Glénan. C’est un voilier de 13 mètres, très exigeant au niveau des réglages et des manœuvres et qui s’avère très performant pour l’époque. En 1963 et 1965, il remporte le Challenge du RORC en classe I.

Un cours à 1 million d'exemplaires

En 1961 et 1962 paraissent les deux tomes du Cours de Navigation des Glénans. Ces ouvrages sont la compilation de tout ce qu’on enseigne aux Glénans et rassemblent l’expérience collective des moniteurs qui se sont succédés sur les différents bateaux, dériveurs ou croiseurs. La seconde édition paru en 1972 réunit les deux tomes et devient très vite la «Bible» de tous les plaisanciers de l’époque.

La huitième édition qui à cours aujourd’hui est un ouvrage complet de 1072 pages, richement illustré et qui traite de tous les types d’embarcations, du stade débutant au niveau perfectionnement. Traduit en allemand, anglais, espagnol et italien, le Cours de navigation des Glénans, toutes éditions confondues, a été vendu à près d’un million d’exemplaires ! Un formidable succès de librairie qui s’appuie sur la renommée et le sérieux d’une grande école de voile.

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