Marcel Bich et la conquête de l’America
Pari audacieux contre l'hégémonie américaine
Comme l’empereur irlandais du thé, sir Thomas Lipton, avant lui, le baron français du stylo à bille jetable a souhaité conjuguer percée sur le marché américain et quête de gloire à travers ses quatre défis à l’America’s Cup.
Au printemps 1980, Marcel Bich, empereur de la pointe Bic, dévoilait son arme fatale : le voilier France III sur lequel reposait tous ses espoirs pour mener son quatrième assaut contre le plus ancien, le plus prestigieux et le plus technologique des trophées sportifs au monde : la Coupe de l’America. Et ce baron d’origine italienne n’avait pas mâché ses mots : «C’est ma dernière tentative. Dans quatre ans, j’aurai 70 ans. Ma femme me dit que je serai trop vieux pour ces batailles. Donc notre mission est simple : à Newport en septembre, nous devons gagner !»
Treize ans plus tôt, l’audacieux entrepreneur avait réussi à convaincre le New York Yacht Club de changer le règlement de la compétition.
Le club détenait son trophée depuis 1851. Cette année-là, la goélette newyorkaise America avait ridiculisé les yachts anglais les plus rapides de l’époque, sous les yeux de la reine Victoria. Le propriétaire de l’America avait emporté à New York la «Coupe de la Reine», qu’il avait aussitôt rebaptisée du nom de sa goélette. Depuis cette humiliation, les Yankees n’avaient jamais perdu leur précieux pichet. Or depuis 1871, les régates se déroulaient sous forme de duels. Et selon un principe simple : si un prétendant étranger -que l’on nomme challenger- désirait s’attaquer au trophée, il devait lancer un défi à son détenteur -le defender.
On s’expliquait ensuite sur l’eau, d’abord au large de New-York, puis de Newport, le St Tropez américain, en une série de duels souvent ennuyeux à mourir tant les Américains dominaient.
En 1967, quand Marcel Bich s’était mis en tête de devenir le premier non anglophone à leur lancer un défi, le fougueux baron avait réussi à convaincre les pontes du New York Yacht Club d’accepter plusieurs challengers, quitte à ce qu’ils s’éliminent entre eux avant que le survivant n’affronte le defender américain. Dans la foulée, il avait racheté trois des bateaux en lice dans l’édition 1964, recruté des barreurs et des équipiers, organisé des entraînements en baie d’Hyères avant de migrer à La Trinité-sur-mer et de lancer la construction de deux pur-sang, le deuxième arborant fièrement le nom de France sur son tableau arrière.
A trois reprises, le baron, si conquérant dans les affaires, avait bu la tasse saumâtre de la défaite, en 1970, 1974 et 1977. En 1980, avec son barreur Bruno Troublé et son magnifique France III, il accédait enfin à la finale des challengers… et la perdait 4 à 1 ! A ce jour, cela reste le meilleur résultat d’un équipage français dans ces duels cruels.
L’Histoire retient que c’est en parvenant à convaincre le New York Yacht Club d’accepter plusieurs challengers que le baron Bich a préparé la fin inéluctable du règne yankee sur l’America’s Cup. Les éliminatoires entre challengers ont permis à ces derniers de se hisser au niveau d’excellence du defender. En 1983, un voilier baptisé Australia II a mis fin à 132 ans de domination américaine.