French Kiss, le ”baiser Français”
Une collaboration technique
Ce fût un défi osé et une sacrée aventure, financée en grande partie par Serge Crasnianski (Kis France), le roi de la clé minute et des photos argentiques tirables sur le champ, en 1985, à l’époque où le numérique n’existait pas encore. French Kiss, c’était d’abord un 12MJI gris souris, construit dans le bocage vendéen, au milieu des vaches, à l’intérieur d’un hangar de ferme tenu secret. Des professionnels de l’aluminium et des soudeurs issus du chantier Alubat, spécialisé dans les dériveurs intégraux de voyage donnèrent naissance à la coque. Les plans du bateau avaient été conçus à La Rochelle, chez l’architecte Philippe Briand, mais aussi à Saint-Cloud près de Paris, siège de Dassault Aviations.
Avant que la forme de coque de presque 20 mètres et sa quille munie de longues ailettes à l’abri des regards grâce à une bâche rouge ne soient arrêtées, des centaines de configurations furent testées sur ordinateur, avec l’apport d’ingénieurs aérodynamicie ns travaillant sur l’avion Rafale. French Kiss ne ressemblait à aucun autre 12 MJI. Large et léger, assez peu toilé afin d’exploiter au mieux la jauge métrique, il possédait des lignes tendues avec des formes en U, une étrave tulipée et une tonture de pont qui dénotaient. Conçu pour la brise omniprésente à Fremantle en Australie, le bateau excellait dans le vent fort, et surfait aux allures portantes, ce qui était plutôt rare sur ces 12 MJI déplaçant près de 25 tonnes quand lui n’en « pesait » que 19.
Jamais avare de piques dont il avait le secret, le Californien Dennis Conner, triple vainqueur de la Coupe de l’America, lança après les premières courses des championnats du monde disputés en Australie au printemps 1986 lors d’une conférence de presse : «les Français ont le meilleur bateau… mais ils ne le savent pas !» L’équipage alternait il est vrai le meilleur et le pire. Le 12MJI français termina cinquième… avec deux victoires de manche sur sept courses, l’épreuve étant remportée par Australia II.
La différence française et le désir d’excellence
Soutenu par le CFCA (Comité Français pour la Coupe de l’America) initié par Jean Glavany alors chef de cabinet du président de la République François Mitterrand, French Kiss devait symboliser le savoir-faire, l’excellence française et le «french flair». L’équipage dont la moyenne d’âge était d’à peine 25 ans n’avait encore jamais navigué ou presque sur de tels bateaux, travaillant dur et progressant vite. Quand les seize autres syndicats préparant la Coupe de l’America s’équipaient de voiles américaines chez North, Hood ou Sobstadt, la jeune équipe sous la houlette de Luc Gellusseau et des meilleurs maîtres-voiliers de l’hexagone, confectionnait ses propres voiles, utilisant un tissu révolutionnaire unidirectionnel, le Kevlar 49 mis au point avec le CNES ( Centre National d’Etudes Spatiales) et le CRAIN (Centre de Recherche et d’Architecture pour l’Industrie Nautique). Des spinnakers différents furent aussi le fruit de longues études avec des tissus à base de Terphane réputés incollables et issus d’un ballon sonde développé par Brochier Espace et Rhône Poulenc.
Quand tous ses adversaires choisissaient des mâts américains Sparcraft, l’équipe de Marc Pajot construisit les siens avec le Français Jean-Pierre Maréchal. Enfin, la cellule tactique-navigation développa un ordinateur de positionnement spécifique, le GPS n’étant pas encore commercialisé. L’ancien médaillé olympique et vainqueur de la Route du Rhum Marc Pajot, qui avait monté le projet, cumulait le rôle de skipper et de barreur. Son complice baulois Marc Bouët était à la tactique et Bertrand Pacé, futur champion du monde de match racing à la navigation. Le bateau tricolore se hissa alors en demi-finales de la Louis Vuitton Cup, l’épreuve sélectionnant futur adversaire du défender. Il fût le seul challenger européen qualifié dans le dernier carré.
Malgré de sévères modifications, le tableau arrière ayant été tronçonné afin de rajouter du poids dans le lest, French Kiss allait sèchement être battu par les Néozélandais du jeune Chris Dickson, sur un 12MJI en polyester lors des quatre courses pour une fois disputées dans du petit temps. Mais l’épopée du «baiser français», son surnom donné par les Anglo saxons n’allait pas laisser indifférent, et promouvoir la course en France sous toutes ses formes. Aujourd’hui, acquis par un amateur passionné qui en 1987 adolescent, suivait la Coupe de l’America la nuit à la radio, French Kiss entièrement restauré mais dans son «jus», coule de beaux jours en régatant en Méditerranée.