Compétition : la fin d’une époque

Gérald Guétat
Culture
Cent ans après les débuts du motonautisme ouvertement portés par la course, en France le divorce semble définitivement consommé entre le marché de la plaisance et des résultats sportifs obtenus dans des épreuves plus rares et de moins en moins populaires.

Ce constat est surtout vrai en France, pays champion industriel dans le secteur la plaisance mais peu porté vers le sport motonautique, à la différence de son remarquable rayonnement sportif international de longue date en voile.

De nombreux facteurs sont venus se cumuler pour déboucher sur un désintérêt progressif du public pour le motonautisme de compétition à partir de la fin des années 1980. Les foules qui se massaient sur les quais de Paris lors des Six Heures ou de Rouen, pour les 24 Heures dans les années 1960 et 1970, découvraient à l’occasion un sport mécanique plus facilement accessible que l’automobile sur piste, à l’entrée payante. Les bolides allaient vite et le spectacle était gratuit, comme au bord d’une route pour voir passer un rallye ou le Tour de France. Dans cet âge pionnier du développement de la plaisance à moteur, les constructeurs étaient généralement des artisans, travaillant en famille et pilotant souvent eux-mêmes leurs bateaux. Mais, les dangers inhérents à l’imprévisibilité du plan d’eau ont fait de nombreuses victimes qui ont fini par éloigner les grands médias généralistes, pourtant en quête de sensationnel. Sur le plan technique, jusque dans les années 1970, la guerre entre in-bord et hors-bord n’était pas encore tranchée. Une fois le hors-bord déclaré définitivement vainqueur dans les catégories de vitesse et d’endurance sur circuit entre bouées, la guerre industrielle entre motoristes a fini par aboutir à une uniformisation au profit de Mercury. Les chantiers français Jeanneau et Bénéteau se sont lancés dans la course dans les années 1980 pour asseoir leur jeune image de marque sur le segment de la plaisance performante, alors dominée par les entreprises américaines. Dans cette décennie de croissance, Bénéteau a, par exemple, fièrement affiché sa collaboration avec le champion de Formule 1 motonautique et concepteur Cees Van Der Velden pour créer le Flyer avec le succès que l’on sait. Puis, les temps ont vite changé et les progrès de la production motonautique en termes de vitesse, de puissance et de tenue à la mer dans les années 1990 ont été désaccouplés de l’expérience de la compétition de haut niveau, cette dernière se pratiquant sur des bateaux (catamarans) aux conceptions très éloignées des réalités de la plaisance de Monsieur tout le monde.

L’absence de fabricant de moteur français et de pilote tricolore parmi les grands champions internationaux a certainement contribué aussi à ce que le public n’éprouve pas le besoin de se déplacer pour assister à une épreuve pour soutenir la cause de l’un et de l’autre. Le décès accidentel de Didier Pironi, pilote automobile de premier plan aux commandes d’un offshore en 1987 a renforcé un sentiment de rejet de la course en haute mer. La disparition de Stefano Casiraghi, mari de la princesse Caroline de Monaco, en 1990, a incriminé une nouvelle fois ce genre de compétition. De même, la longue liste des victimes en course sur fleuve ou plan d’eau intérieur, a continué, année après année à creuser le fossé entre médias, public et compétiteurs. Avec la prise de conscience écologique dans le courant des années 1990, les associations de protection de l’environnement se sont de plus en plus opposées à la tenue d’épreuves pour réduire les risques de pollution et de dommages induits à l’écosystème. A partir du moment où les progrès dans les carènes de plaisance n’ont plus eu à dépendre des acquis obtenus en course – par la généralisation de la CAO et des simulations numériques des performances – les chantiers n’ont plus eu de nécessité d’investir dans la course. L’image négative attachée au sport motonautique s’opposait à la vision idyllique d’une plaisance orientée vers l’hédonisme et les vacances et, au début de la décennie 2000-2010, un résultat en compétition de vitesse ou d’endurance ne pouvait plus prétendre stimuler une motivation d’achat. La plaisance à moteur, porteuse d’évasion et d’aventure individuelle, se passait très bien de tout palmarès sportif en arrière-plan dans un contexte de préoccupations montantes de la société tournée les économies d’énergie et la réduction de la pollution. A la fin de cette même décennie, les 24 Heures de Rouen, dernière grande classique motonautique populaire, battait de l’aile et son destin était bientôt scellé. Le motonautisme n’est donc pas comparable à l’automobile, en particulier sur le rapport des constructeurs à la course. A l’occasion des 24 Heures du Mans en 2010, des responsables de trois marques françaises ont été interrogés sur les liens entre le sport automobile et les ventes. Aucun n’a pu répondre de manière précise mais tous se sont accordés sur le fait qu’ils pourraient difficilement l’ignorer, ne serait-ce qu’en termes d’image de marque internationale et d’exposition médiatique. Les enjeux commerciaux de la plaisance motonautique en France sont, depuis de nombreuses années, totalement dégagés de cet impératif, misant davantage sur le qualitatif apporté par de grands designers que par l’aura des champions du volant.

Alors que la décennie 2010-2020 approche, le sport motonautique en France n’a évidemment pas disparu, soutenu par sa fédération nationale. Cependant, sa présence s’est réduite à un calendrier restreint de courses animées par des groupes de passionnés de vitesse et de mécanique. Les avancées technologiques de Mercury, le motoriste dominant sur le plan international, autorisent des performances remarquables qui ne sont pas sans retombées sur le développement des hors-bords de série. Quant aux épreuves mondiales, leur centre de gravité se déplace de plus en plus vers les pays du Golfe, la Chine et l’Extrême-Orient ainsi que les pays émergents, sous la poussée des sponsors d’État ou privés qui y voient un exercice profitable de “soft power”.  En 2010, la propulsion électrique est souvent évoquée pour prendre le relais en compétition de haut niveau dans une dizaine, une vingtaine d’années ou davantage. Il faudra que le spectacle soit de haute intensité pour espérer attirer les foules alors que la plaisance à moteur aura elle-même eu à affronter de nouvelles mutations cruciales pour son avenir.

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