Pêche-Promenade, naviguer à la carte
En lançant le Picoteux en 1962, Jean-Pierre Jouët disait l’avoir imaginé à l’intention des parents soucieux de pouvoir emmener leurs enfants sans émotions, aux pêcheurs solitaires ayant besoin d’une coque stable, et d’une façon générale à tous les nouveaux venus à la voile recherchant un bateau simple pardonnant leurs maladresses. Le concept va cependant mettre quelques années à se populariser.
Le Picoteux reçoit un accueil mitigé, peut-être en raison d’une conception trop datée et finalement pas si pratique à l’emploi. Et l’offre reste restreinte : le Courlis de la Manche, construit en bois chez Lude à Courseulles-sur-Mer s’adresse plutôt aux amateurs de voiliers traditionnels, tout comme l’Olonnois du chantier Dubernet, et les Arcoa 520 et 600 sont alors toujours construits en contreplaqué et n’échappent pas à la complexité des petits croiseurs conventionnels, les performances en moins. On ne voit guère à ce moment que les Paimpolais des établissements De Possesse, à Saint-Servan, ou les canots bretons construits en polyester à Dinan par Amiot Naval pour correspondre à ce programme de balade à la journée en toute simplicité.
Signe d’une certaine évolution du marché, dans son numéro spécial salon de janvier 1965, la revue Bateaux crée pour la première fois une rubrique spécifique pour les voiliers dits “de promenade et de pêche”, présentant sur plusieurs pages une cinquantaine de modèles dont la plupart mesurent moins de quatre mètres et s’apparentent davantage à des annexes.
Ironie de l’histoire, cette sélection ne dit rien de l’activité du chantier Bénéteau qui vient pourtant de lancer son Fletan et va bientôt devenir la marque emblématique de cette catégorie de voiliers. Présenté au CNIT quelques jours après la parution de la revue, ce voilier en polyester de 4,33 m est proposé en deux versions : ponté, avec un très grand cockpit, ou doté d’un rouf abritant deux couchettes.
La règle du mètre de plus
Exposé sur un tout petit stand au milieu de mille cinq cents bateaux de toutes sortes, le Flétan n’en attire pas moins l’attention de professionnels bretons qui voient en lui un modèle très bien adapté à leur clientèle. C’est le début à la fois du réseau de distribution Bénéteau et d’une gamme qui ne va cesser de s’agrandir. Séduits par la facilité d’emploi de ce voilier qui se prête à tous les usages, les propriétaires sont souvent en quête “du mètre de plus” pour avoir un peu plus de confort ou inviter plus de monde à bord. Le Galion (4,80 m) et le Forban (5,80 m) viennent répondre à cette demande, dessinés eux aussi par André Bénéteau qui veille à respecter les fondamentaux de la catégorie, avec des coques robustes à forte stabilité et des plans de pont fonctionnels et plus accueillants que ceux des voiliers de croisière, le tout avec un style qui joue manifestement un rôle dans le succès de ces bateaux, rappelant les canots traditionnels.
L’architecte a même encore simplifié le concept, supprimant la dérive qui équipait les premiers Fletan, pour ne garder que la quille longue inclinée, facilitant l’échouage et limitant les risques d’avarie. Là encore, la concurrence reste limitée : hormis Amiot Naval avec ses Fréhel, Ocqueteau et ses Marin, ou Kirié qui a lancé sa gamme de Baleinier, peu de constructeurs se lancent sérieusement sur ce marché. Et les Arcachonnais de Jeanneau ne convainquent ni par leur esthétique ni par leurs performances. En 1969, Bénéteau sort un modèle encore plus grand, le Baroudeur dont la coque de 6,80 m abrite les emménagements d’un vrai petit croiseur tout en gardant l’allure traditionnelle et les atouts qui avaient fait le succès de ses bateaux précédents. Très bien accueilli, le Baroudeur contribue à faire du chantier de Saint-Gilles le spécialiste incontesté de ce créneau et préfigure, trois ans plus tard, le lancement de la gamme Évasion