L’avènement de la voile plaisir

Didier Ravon
Culture
fantasia
Il est coutume de dire que dans plaisance il y a plaisir. Cela s’est vérifié dans une période où non seulement les chantiers s’appuyant sur la course en vogue, grandissaient et innovaient à vue d’œil, mais proposaient un panel de voiliers différents et typés quel que soit son budget.

Les prémices de la croisière

Les années 60 70, ont non seulement été le théâtre d’une découverte de la voile sportive et de la régate, mais ont aussi « préparé le terrain » de la croisière côtière. Retrouver son bateau le week-end ou lors de vacances, s’offrir une escapade à Yeu, Porquerolles, Groix, les îles de Lérins ou du Frioul… animèrent nombre de plaisanciers, qu’ils soient débutants ou confirmés.

Mai 68 et les années « baba cool » étaient passées par là, ne faisant que renforcer le leitmotiv ; évasion et jouissance. Les chantiers navals surfaient sur cette philosophie, et les ports de plaisance poussaient comme des champignons. Les criques les plus reculées n’étaient pas saturées, les mouillages sur herbiers de posidonie encore autorisés, les corps morts payants même pas envisagés, et une place de port pour une nuitée quasiment offerte. Les écoles de croisière et les clubs foisonnaient, et la pratique de la voile loisir en dériveur ou habitable n’était plus réservée à une élite argentée.

Dufour T7 ©Guy Lévèque

A la Rochelle, on pouvait essayer son futur bateau

Les privilégiés souhaitant accéder à la propriété n’avaient que l’embarras du choix. La création du Grand Pavois à La Rochelle en 1973, épicentre de l’industrie nautique avec la Vendée, fût un évènement. Des personnalités du nautisme, Henri Amel, Fernand Hervé, Michel Dufour et Roger Mallard furent à l’origine de ce salon à flot.

En fin de journée, il était même possible de quitter les pontons pour profiter de la brise thermique, et ainsi tirer quelques bords entre le nouveau port des Minimes et l’île de Ré ! « Monsieur » était fou amoureux de son voilier commandé au Salon Nautique de Paris, ce dernier ayant dépassé en taille le fameux London Boat Show.

Il affectionnait d’y passer le plus clair de son temps libre, arpentait les shipchandlers en train d’éclore, lisait Voiles et Voiliers de la première à la dernière ligne. Ce nouveau magazine grand format laissant une belle place à l’image, se caractérisait par une vision épicurienne de la pratique de la voile. La jeune équipe de copains concevant la revue, n’hésitait pas à raconter sur un ton débridé, croisières et essais… Une rubrique sur le confort à bord et le point de vue de la femme avait même été créée… sauf que c’est un homme qui la rédigeait sous un pseudo féminin. Dans l’immense majorité des cas, « madame » suivait son mari…

La voile n’était pas forcément sa tasse de thé. Souvent, elle s’ennuyait dans le carré pendant que lui bricolait son bateau. Elle n’aimait pas quand il se couchait sous l’effet d’une forte risée, qu’il fallait se protéger des embruns ou alors s’abriter dans la cabine avec le risque d’un mal de mer récurent… Elle préférait de loin s’allonger sur la plage avant au soleil avec un bon bouquin quand le bateau était à l’ancre. Les voiliers devenaient de plus en plus confortables, proposant des cabines indépendantes et plus de cabinets de toilettes qu’à la maison. En croisière, le matin et le soir sur France Inter et en grandes ondes, il était inconcevable de ne pas écouter scrupuleusement et surtout noter voire enregistrer sur le radio K7 le bulletin météo marine intitulé « Inter Service Mer », ses zones parfois énigmatiques pour le terrien – Cromarty, Utshire, Fisher, Tames, Dover, Sole, Lion… – mais familières pour le marin. Il n’était pas question de le manquer, et nombre de chefs de bord programmaient leur réveil…

Le sacro-saint bulletin aurait été mis en place par la radio publique, suite à une demande officielle de la célèbre école de voile des Glénans, fondée en 1947 par Hélène et Philippe Viannay, anciens résistants, et qui allait permettre à des dizaines de milliers de gens de s’initier à la voile.

Pen Duick 600, 1979 ©Guy Lévèque

L’effet Tabarly toujours !

Après la première victoire de Eric Tabarly dans la Transat anglaise de 1964, les ventes de voiliers de croisière auraient augmenté de près de 80 % ! Dix ans plus tard, la croissance de l’industrie nautique ne faiblissait pas. En 1976, sur Pen Duick VI conçu pour un équipage, Tabarly allait récidiver et remporter à nouveau la Transat anglaise en solitaire. « L’idole des houles », surnom donné par Olivier de Kersauson, lança alors le Pen Duick 600, petit croiseur de 6 mètres bon marché en aluminium, construit chez Leguen Hémidy, et qui allait être produit à 350 exemplaires. Les bureaux d’études phosphoraient.

Les chantiers avaient bien compris qu’il fallait choyer le plaisancier. Il en résultait des voiliers pour tous les goûts et les budgets, certains marquant leur temps à l’image des automobiles Citroën, Renault ou Peugeot. Des incontournables passionnés et pas seulement des architectes et des ouvriers hyper qualifiés, allaient laisser leur empreinte. François Chalain en faisait partie. Entré chez Jeanneau en 1972 pour dessiner le Love Love, il fût rapidement débauché par Bénéteau. Le gaillard avait cent idées par jour. Excellent régatier, François Chalain proposa de racheter les moules de l’Impensable, un prototype de 9 mètres construit par le chantier Quéré. André Bénéteau à la tête du Bureau d’Etudes redessina les emménagements du plan André Mauric. Sa carène à la fois ventrue et typée ne passait pas inaperçue. Le First 30 présenté au Salon Nautique 1977 fût logiquement élu bateau de l’année en 1978. Formidable bateau de près, il séduisait aussi bien les plaisanciers que les régatiers.

Durant trois années, bateau du Tour de France à la Voile, il ouvrit le premier chapitre d’une longue lignée du chantier vendéen. La complicité de François Chalain avec Annette Roux qui dirigeait le chantier et le considérait comme « son troisième frère », fit merveille, et Bénéteau, futur premier constructeur mondial de voiliers innova, collaborant aussi avec des architectes étrangers de légende, tels que l’Argentin German Frers ou le Néozélandais Bruce Farr, invitant dans le milieu du nautisme des designers comme Pininfarina ou Starck. Mais Bénéteau était loin d’être seul sur le marché, et l’offre de 22 à 65 pieds devenait véritablement impressionnante. Jeanneau avec le Gin Fizz, Pouvreau avec le Romanée, Kelt Marine avec le Kelt 650, Etap Yachting avec l’Etap 22, Dufour avec l’Arpège, Froment avec le Rêve d’Antilles, CN Azuréen avec le Challenger Micro, ou Mallard avec l’Ecume de Mer proposaient des unités aussi typées que séduisantes, certains faisant le pari de l’insubmersibilité afin de rassurer le futur acquéreur.

« Quand la mousse a été injectée entre la coque et le contre moule, elle gonfla et poussa si fort que ce dernier explosa sous la pression. »

La révolution du contre - moule

Les chantiers rivalisaient d’idées et d’ingéniosité. La mise en œuvre du contre-moule servant à la fois à la structure du bateau et aux emménagements en fût la preuve irréfutable.

Ingénieur de formation, architecte maison de tous ses bateaux, Michel Dufour qui venait de lancer à La Rochelle le chantier éponyme, posa un regard neuf sur la plaisance, demanda au navigateur Jean Yves Terlain, second de la Transat anglaise 1972 sur Vendredi 13 de Claude Lelouch, de lui concevoir le logo. Spécialiste des moulages industriels pour les locomotives notamment, il souhaitait prôner le contre moulage à l’intérieur des bateaux. Non seulement on ne cachait plus le plastique, mais on le mettait en valeur. Tout était donc lisse et brillant du sol au plafond, et les finitions plus soignées qu’avec des vaigrages se décollant avec le temps. N’empêche, la mise en œuvre était complexe et « sans filet ».

De son côté, Roger Mallard, convaincu qu’entre les nervures du contre moulage, il fallait ajouter de la matière, explora cette voie. C’était le début de la mousse de polyuréthane expansée que l’on préparait et touillait comme un soufflé au fromage ou une mousse au chocolat, et qui avait pour caractéristique de fortement augmenter de volume avant de se solidifier. L’Ecume de Mer dessiné par Jean-Marie Finot et Laurent Cordelle, présent au chantier pour les premiers essais, servit un peu de « cobaye ».

Le prototype était en aluminium, la série serait en polyester. Quand la mousse fût injectée entre la coque et le contre moule, elle gonfla et poussa si fort que ce dernier explosa sous la pression. Le troisième essai fût concluant et l’Écume de Mer présenté au Salon nautique de Paris à La Défense, connu un immense succès aussi bien en croisière qu’en course. Adulé par les plaisanciers, premier bateau du Tour de France à la Voile et que l’on démâtait pour passer de l’Atlantique à la Méditerranée via le canal du Midi, l’Écume de Mer allait remporter deux fois la Quarter Ton Cup, le championnat du monde des bateaux de moins de 8 mètres, puis être produit à près de 1 400 exemplaires.

Sun fizz

Un luxueux ketch remporte la course autour du monde

Les grandes courses à la voile contribuaient clairement au développement de la plaisance, la plupart des carènes étant par exemple issues de prototypes disputant la Course de l’Aurore, future Solitaire du Figaro. Plan de pont, gréement, accastillage profitaient de la compétition, mais avec des emménagements autrement plus confortables que sur un bateau de course. Les chantiers n’hésitaient pas à engager un bateau « usine » mené par un marin réputé sur la Transat anglaise ou bientôt sur la Route du Rhum.

Lors de la première Whitbread en 1973, course autour du monde en équipage et par étapes, et auquel participait notamment Eric Tabarly sur Pen Duick VI, le Mexicain Ramon Carlin, riche homme d’affaire et marin amateur, décida d’armer un Swan 65, construit par le chantier finlandais Nautor.

Pour ce tour du monde des pionniers, où les plats lyophilisés n’existaient pas encore, l’on ne se refusait rien. L’on embarquait de grands crus classés, des conserves dignes d’un restaurant étoilé… beaucoup de livres et de musique. A la veillée, on partageait le dîner avec tout l’équipage dans le carré.

A part le pont en teck de Birmanie qui n’avait finalement pas été retenu pour ne pas surcharger le bateau, le Swan 65 Sayula II dessiné par Sparkman et Stephens et gréé en ketch, possédait des emménagements parfaitement standard mais un confort de palace. Mené par son propriétaire, accompagné de son fils, d’amis, et même de son épouse au début, Sayula II allait s’imposer à l’issue des quatre étapes. Le mythique ketch ayant fait rêver des générations de marins, poursuivit sa longue carrière en croisière, séduisant nombre de millionnaires à l’image de Richard Wright, l’un des piliers du groupe Pink Floyd, qui durant un quart de siècle arpenta la Grèce et les Antilles sur son Swan 65 Evrika.

Gib sea, 1976 ©Guy Lévèque
First class 8 ©Gerard Beauvais

Les architectes navals, le plus souvent scientifiques restaient avant tout marins. Ces intuitifs dessinaient les carènes sur du calque polyester stabiphane avec un crayon à mine dure, une gomme tendre, des lattes souples et des « perroquets » afin de lisser les courbes.

L’école française était à la pointe, de Jean Marie Finot à Michel Joubert et Bernard Nivelt, de Philippe Harlé à Jean Berret, et bientôt Philippe Briand dont la précocité impressionnait. Le Gib’Sea 105, le Fantasia, le Sun Fizz, le First 35, le Feeling 1090, le Dufour T7, le First Class 8, le Sélection 37 ou encore le Tofinou allait le confirmer, avec des bateaux aux formes et programmes très différents.

Enfin, la croisière n’allait pas tarder à s’écrire aussi sur deux coques. Finis le bateau qui penche, la descente raide, le passage obligatoire par le carré pour accéder aux cabines… le catamaran faisait son apparition avec le Louisiane, le Catana 40 et le Lagoon 55. Il allait connaître un incroyable succès, notamment auprès de nouveaux plaisanciers n’étant pas forcément passés par « l’école » du classique monocoque.

Lagoon

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