Les bateaux grandissent
Dix ans sans dériveur
Dès le Salon de 1980, on constate une baisse de l’intérêt des nouveaux plaisanciers pour le dériveur. Les Jeux Olympiques de cette année sont boycottés par les Français, comme cinquante autres nations. Thierry Peponnet et Luc Pillot recevront une médaille de bronze en 1984 en 470 et celle d’or quatre ans plus tard. Toujours en 470, Christine Briand et Claire Fontaine sont sacrées championnes du Monde en 1983. Pourtant, le phénomène ira crescendo tout au long de la décennie.
La génération qui a grandi sur les planches à roulettes ne se sent pas à l’aise sur ces voiliers où l’on reste assis, ou tout au plus suspendu à un trapèze. Les planches à voile touchent un tel public que les grands chantiers s’investissent, et que les marques se multiplient. 85 000 planches construites en France en 1980. L’enjeu devient encore plus grand en 1981, car le brevet de Schweitzer tombe aux États-Unis. Cette année-là, en France, soixante-deux chantiers et importateurs proposent quelques 163 planches différentes. Nous sommes alors le plus gros producteur mondial, avec en tête, Bic qui a acquis les planches Dufour.
En 1984, les planchistes ont le choix entre 196 modèles en France. L’année suivante, on assiste à une baisse des ventes vertigineuse de 35% et petit à petit, les sensations de vitesse tournent les planchistes vers le catamaran de sport. La planche devient alors un accessoire indispensable à bord des voiliers d’une certaine taille.
La course spectacle à la française
En 1980, Eric Tabarly, héros national, bat le record de la traversée de l’Atlantique vieux de 75 ans. Déjà en 1976, il avait remporté seul sur son voilier, Pen Duick VI, conçu pour la course autour du monde en équipage, la Transat anglaise, battant le quatre mâts de 72 mètres Club Méditerranée d’Alain Colas. Il sera sacré le sportif préféré des français. Deux ans plus tard, le petit trimaran jaune de 11,48 mètres de Mike Birch double au poteau le monocoque de Michel Malinovski de 21 mètres, et arrive à Pointe à Pitre avec 98 secondes d’avance, scellant la supériorité des multicoques en course.
Lors de cette première Route du Rhum, toute la presse française s’emparera surtout de la disparition d’Alain Colas sur le trimaran Manureva, ex Pen Duick IV. Dans l’édition suivante, en 1982, le départ de la course à Saint-Malo est retransmis par les télévisions TF1 et Antenne 2, la foule est au rendez-vous sur terre et sur l’eau, malgré un avis de force 11. En même temps, dans la course autour du monde en solitaire sur monocoque, le Boc Challenge, partie de Newport, un Français est en train de gagner haut la main la première étape.
Philippe Jeantot, sur Crédit Agricole, sur son cotre de 17 mètres, mène la ronde avec plus de mille milles d’avance sur ses poursuivants. Vainqueur une seconde fois en 1986, il sera le créateur du Vendée Globe en 1989. Parallèlement, la Mini Transat et la Course du Figaro qui se court sur des half-tonners, sont le creuset des grandes figures de la course au large. Si la relation entre la course et la croisière se creuse au cours des ans, l’intérêt grandissant du public favorise le développement de la plaisance.
L‘acquisition par leasing ou crédit
Pour accéder à la propriété d’un bateau de plaisance, la question se pose de trouver un moyen de payer ses versements sans que cela devienne trop lourd pour profiter de son acquisition. Les nouvelles dispositions d’achat à crédit sous forme de location longue durée, ou par les crédits maritimes permettent dès 1980 d’analyser la différence entre les deux solutions.
Il s’avère que la navigation en dehors des eaux territoriales a une influence non négligeable sur le calcul de la TVA dans la première formule. En fait, il est possible de déduire 50% de la taxe pour une navigation en première catégorie et 10% en quatrième catégorie, alors qu’il n’y a aucune déduction en cinquième catégorie. Plus votre bateau est capable de naviguer loin, moins il vous en coutera. Cette disposition favorise l’achat de voiliers de plus grandes tailles, et les constructeurs vont proposer des modèles de plus en plus grands au cours de cette décennie.
L’autre moyen de financement va dans le même sens, le montant minimum du crédit est de 30 000 F en 1982, et son maximum, 80% de la valeur du bateau. Le montant des intérêts plus l’assurance tourne autour de 20%, l’inflation étant alors de l’ordre de 13%. Ces taux d’intérêt pour la plaisance diminueront dans les années suivantes pour atteindre entre 13 et 10 % suivant l’importance de l’investissement en 1990.
Louer un voilier plus grand
La possibilité de défiscaliser les biens pour les investissements dans les Antilles Françaises grâce à la loi Pons, qui entre en vigueur en 1986, s’applique aux voiliers de plaisance. Cette loi profite aux loueurs de bateaux neufs qui embarquent 12 personnes au maximum, à la condition de garder les navires au moins 5 ans. Il existe plusieurs manières de bénéficier de cette défiscalisation. Pour le particulier, il peut souscrire en numéraire au capital d’une société de location de bateaux outre-mer.
La loi lui accorde alors une réduction d’impôts de 5% par an sur cinq ans. Pour une entreprise qui est soumise à l’impôt sur les sociétés, elle peut investir et déduire de ses résultats imposables une somme égale à l’investissement de l’achat de ses bateaux. Cela est également possible pour une entreprise individuelle, sachant qu’il n’est pas question de naviguer à bord pendant cinq ans, car le bateau doit être uniquement affecté à une exploitation touristique. La loi est aussi étendue aux investisseurs. Une entreprise peut participer au capital d’une société de location outre-mer et réduire de ses résultats le prix d’achat de ses parts. Comme on le voit, la loi Pons est très généreuse, elle va être un élément déterminant dans le développement de ce secteur de la construction en France.
Le souffle des catamarans
En 1980, le marché du catamaran de croisière est dominé par le constructeur britannique Prout, leader mondial dans ce domaine. Devant une demande grandissante, les chantiers français vont proposer des unités plus performantes, et au design plus épuré. Avec le lancement en série du catamaran Louisiane en 1983, le chantier Fountaine Pajot propose un multicoque de croisière élégant, rapide et confortable de 11 mètres.
Capable de remonter au vent aussi bien qu’un monocoque de croisière, il ouvre la voie à une autre façon de naviguer. La même année, Jeanneau ouvre un département Techniques Avancées, JTA, spécialisé dans la construction de voiliers de course, dont une série de catamarans Formule 40, et les grands catamarans comme les Fleury Michon, et l’année suivante, en 1985, un premier Lagoon de croisière. Outremer et Jeantot Marine se lancent alors dans la construction de catamarans de série destinés au grand voyage et au charter. Le premier Privilège de Jeantot Marine mesure 14,50 mètres, il est dessiné par l’architecte de ses premiers Crédit Agricole, Guy Ribadeau-Dumas.
En 1986, Beneteau propose un catamaran de 10,40 mètres, conçu par Philippe Briand, Blue II, mais le public du constructeur reste fidèle à ses monocoques, le modèle ne sera construit qu’à 48 exemplaires. Cinq ans plus tard, le haut de la gamme de ces chantiers a bien évolué.
Chez Lagoon, c’est un 55 pieds (16,50 m) signé Van Peteghem, chez Fountaine Pajot, un 53 pieds (16,30 m), conçu par Jean Berret, chez Outremer, un 50 pieds (15 m), et chez Jeantot un 48 pieds (14,70 m) dessiné par Marc Lombard. Le marché est devenu très ouvert, largement destiné à l’exportation et les principaux clients sont les sociétés de location et de charter.
La guerre des grands constructeurs
Entre 1980 et 1985, le nombre d’immatriculation de bateaux de plaisance en France est en baisse, de 8 à 12% chaque année. Si l’on regarde plus en détail, ce sont les plus petits bateaux qui souffrent le plus, par contre, il y a une augmentation chez ceux de grandes tailles, qui d’ailleurs étaient absents dans les constructions en série les premières années. D’année en année, c’est souvent grâce à l’exportation en hausse que les chantiers s’en sortent. Cela dit, il y a des modèles qui ne vieillissent pas et continuent à plaire au public. Chez Jeanneau, le Fantasia, long de 8 mètres, est une véritable réussite. Lancé en 1982, il sera produit jusqu’en 1991, à 1 700 exemplaires. Il est l’un des premiers à avoir une grande cabine arrière sur cette taille de voilier. Il vient remplacer le Sangria, conçu également par Philippe Harlé treize ans plus tôt, qui a été produit à 2 146 exemplaires.
En pleine crise économique de 1984, l’année du centenaire du chantier, Beneteau est introduit en bourse. Premier constructeur mondial de bateaux de série, il consacre alors 28 pages de publicité dans le numéro de Salon du magazine Bateaux pour présenter sa gamme de 38 modèles, dont 16 First. Mieux, il décide de construire une nouvelle usine aux Etats-Unis. Mais un problème technique vient semer le trouble. Le fournisseur du catalyseur, qui permet la polymérisation du polyester des coques des First, en modifie un composant, ce qui crée une osmose accélérée, mettant les coques en danger. Grâce à la réactivité du groupe et l’intervention rapide sur les voiliers contaminés, le pire est évité. Son concurrent direct, Jeanneau, présente une gamme encore plus large, pas moins de 72 modèles, dont la moitié à moteur en 1986, année de stabilisation des nouvelles immatriculations.
La même année, le lancement de la gamme des six premiers Océanis par Beneteau, de 10 à 15 mètres, révolutionne le concept du voilier de croisière. Conçus par Philippe Briand, ce sont des carènes volumineuse et marine, résolument modernes. Les vitres en avant du roof et la généralisation des hublots sur les coques offrent une vision panoramique. La cuisine est confortable, le plus souvent au centre du voilier, en face du carré, et les cabines sont prévues avec de larges équipets. Le cockpit est très vaste et agréable, libéré des manœuvres des voiles. En 1987, l‘Océanis 500, le voilier amiral de la série, inaugure les doubles barres à roue, et la quille à ailettes sur les bateaux destinés à la croisière et au charter. Cette première génération, avec près de 2500 exemplaires vendus, sera produite jusqu’en 1992, où tous les modèles seront complètement renouvelés, avec l’intervention de trois autres architectes, Finot, Berret et Farr.
En 1987, le CNIT étant fermé pour transformation, deux salons nautiques ont lieu, en janvier et décembre. Le prochain, à la Porte de Versailles, offrira 40% de surfaces supplémentaires, les affaires reprenaient.
L’année suivante, Jeanneau lance son voilier de haut de gamme, le Sun Odyssey 51 dessiné par Bruce Farr. Il reprend le principe de l’Océanis 500, avec deux barres à roue, un cockpit dégagé de toute manœuvre, qui ouvre sur la grande plage arrière. Les quatre cabines ont chacune leur cabinet de toilette, et l’avant comporte deux couchettes supplémentaires.
1988 et 1989 sont deux années bénies pour une production en hausse, jusqu’à 1990, année de la guerre du Golfe. Jeanneau, dès le premier jour, accuse dix millions de francs d’annulation de commande.
Le visage de la plaisance française a bien changé en dix ans. Les voiliers, comme les bateaux à moteur se sont rapprochés de la taille de ceux des américains, où un voilier de douze mètres est une taille moyenne. Mais ce qui a permis cette transformation, c’est le talent de la construction française, qui a réussi le pari de produire des voiliers élégants, confortables, très habitables et marins, quelque soient leurs tailles.