La voile au féminin

Si l’on se contente de regarder les chiffres officiels, l’évolution n’a pourtant rien d’évident. Les statistiques de la Fédération Française de Voile montrent ainsi que la proportion de licenciées reste sensiblement la même depuis plusieurs décennies : autour de 25 % du total. Mais ce déséquilibre n’est pas spécifique à la voile, il concerne la majorité des sports pratiqués en club avec une licence. Pour donner un ordre d’idée, des disciplines comme le cyclisme ou le football rassemblent environ 10 % de femmes pour 90 % d’hommes, et même dans une activité réputée plus ouverte comme le tennis, la part de pratiquantes reste inférieure à 30%.
Ce qui change vraiment en ce début des années 2000, ce n’est pas tant le nombre de pratiquantes que leur visibilité dans tous les secteurs de la voile, croisière ou compétition. L’arrivée du Vendée Globe 2000/2001 est à ce titre un marqueur symbolique : le 11 février 2001, au bout de 94 jours de course, Ellen MacArthur et son Kingfisher prennent la seconde place de l’épreuve, une journée tout juste derrière le vainqueur, Michel Desjoyeaux, après avoir été à deux doigts de revenir sur lui pendant la remontée de l’Atlantique. La performance est d’autant plus spectaculaire que la jeune anglaise – alors âgée de 24 ans – a connu une ascension fulgurante. Après une première expérience en course au large en 1997 – dix-septième de la Mini Transat – elle prend le départ l’année suivante de la Route du Rhum et gagne dans la catégorie des monocoques de 50 pieds. Son impressionnante réussite tient à la fois à une ténacité à toute épreuve et à sa capacité à faire les bons choix en matière de matériel et de préparation, sachant à chaque fois s’appuyer sur les bonnes personnes pour avancer.
Après les performances d’Isabelle Autissier et de Florence Arthaud une dizaine d’années plus tôt, un nouveau pas semble franchi et l’exemple d’Ellen MacArthur va contribuer à “normaliser” la présence des femmes au plus haut niveau et à susciter des vocations chez de jeunes navigatrices. L’extraordinaire record autour du monde en solitaire qu’elle établit en 2005 à bord du trimaran B&Q/Castorama ajoutera encore une autre dimension à sa popularité.
Lors du Vendée Globe 2008/2009, c’est encore une Britannique qui tient la vedette : Samantha Davies prend la quatrième place à bord de Roxy. Elle ne parviendra pas à améliorer ce résultat lors de ses trois participations suivantes, mais sa constance et sa façon simple et directe de faire partager les bons comme les mauvais moments vécus en mer font d’elle un maillon incontournable de la féminisation de cette course.


Le succès de la filière Figaro
Épreuve phare en France, le Vendée Globe n’est évidemment pas la seule compétition dans laquelle se développe la participation des femmes. La classe monotype des Figaro Bénéteau a été l’une des plus actives en ce sens. Avec notamment en 2000 la victoire de Karine Fauconnier, associée à Lionel Lemonchois, dans la Transat AG2R, course disputée en double entre Lorient et Saint-Barthélémy. Née en 1972, Karine avait déjà montré son potentiel en prenant la sixième place de la Solitaire du Figaro 1999 et s’illustrera ensuite en multicoque (notamment avec ses victoires dans Québec – Saint-Malo 2004 et dans la Transat Jacques Vabre 2007). D’autres navigatrices brillent dans la Solitaire du Figaro, à l’exemple de Jeanne Grégoire, 5ème de l’édition 2008, et d’Isabelle Joschke qui devient en 2009 la première femme à gagner une étape de cette épreuve depuis que celle-ci se court en monotype, c’est à dire depuis trois décennies ! Isabelle poursuivra sa carrière en 60 pieds IMOCA et Jeanne prendra plus tard la direction du Pôle Finistère Course au large de Port-la Forêt, centre d’entrainement réputé, par lequel sont passés une bonne part des grands noms de la discipline. Cette reconversion ressemble à celle de Karine Fauconnier – devenue responsable de Lorient Grand Large, autre pôle de référence – et montre que les navigatrices s’impliquent aussi bien dans le fonctionnement des différentes structures que dans leurs résultats sur l’eau.
Ce n’est pas un hasard si de nouvelles formes d’organisation, en partie issues de ces structures, vont contribuer plus tard – à partir des années 2020 – à décloisonner davantage le monde de la course en imposant le principe du double mixte pour certaines épreuves (la Transat Paprec en Figaro Bénéteau et la PLM 6,50) ouvrant ainsi la voie à des dizaines de jeunes navigatrices.


Des femmes au long cours
Les femmes ont toujours été présentes dans l’univers de la croisière, mais à l’exception de personnalités comme Nicole van de Kerchove qui a montré la voie dans les années 1960 et 1970, ou plus tard d’Isabelle Autissier – passionnée de grands voyages dans les années 1980 avant de se convertir à la compétition – elles étaient rarement les initiatrices d’un projet de navigation au long cours et les quelques femmes qui assumaient seules de grands périples le faisaient généralement sans tapage. À l’exemple des soeurs Dardé, Christiane et Jacqueline : quand elles rejoignent la Vendée en 2002, après un tour du monde à bord de leur Via 42, Maris Stella, la presse ne s’intéresse guère à leur périple et il faut bien connaître les intéressées pour comprendre qu’il s’agit en fait… de leur troisième tour du monde ! Elles en ont fait un premier une vingtaine d’années plus tôt sur un Super Arlequin, avant de mettre en chantier Maris Stella et de faire avec lui un tour du monde – en s’offrant même un détour par l’Antarctique – puis un second… Elles ont d’ailleurs reçu en 1995 la Blue Water Medal, décernée par le Cruising Club of America, distinction prestigieuse mais peu médiatisée en France.
2002, c’est aussi l’année où Michèle Demai – ancienne présentatrice de journaux télévisés au temps de l’ORTF – boucle un parcours tout aussi singulier : la traversée du passage nord-ouest en compagnie de sa fille Sabrina à bord de Nuage, le côtre en acier de 13 m qu’elle s’est fait construire après la fin de sa carrière à la télévision.
Le développement des nouveaux moyens de communication, avec les blogs d’abord puis les réseaux sociaux, va donner davantage de visibilité à ces voyages et susciter de nouvelles vocations. À l’image de l’équipage du Brise de Mer 28 Saltimbanque, Laure et Camille, deux jeunes ingénieures qui vont tourner autour de l’Atlantique au tout début des années 2010 avant d’enchaîner sur d’autres parcours, montrant – images et commentaires plein d’humour à l’appui – que la grande croisière au féminin, ça marche très bien !