Naissance de la revue Bateaux
Une revue de référence
Le ton est donné dès le premier numéro, en juin 1958 : dans un article intitulé “Le Vaurien est-il un article de luxe ?”, la rédaction de Bateaux fustige l’administration fiscale qui entend contraindre les acheteurs de petits voiliers à acquitter une TVA au taux majoré, soit 33%. Le gouvernement renoncera quelques mois plus tard à ce projet, avant de le relancer en 1968. Avec une telle entrée en matière, la nouvelle revue se démarque en tous cas radicalement du style très conservateur de l’hebdomaire Le Yacht – référence des amateurs de yachting depuis 1878 – et ne va pas tarder à éclipser totalement son vénérable concurrent.
À l’origine de Bateaux, il y a Pierre Lavat, parisien de trente-huit ans qui ne manque pas de cordes à son arc : après avoir fait l’École Navale il est passé par HEC et a travaillé successivement chez un éditeur puis dans un grand groupe industriel. Passionné de voile, il ne manque pas une occasion de naviguer sur son Flying-Dutchman à Granville où la famille a ses habitudes (le canot de la SNSM locale porte d’ailleurs le nom de son père, le docteur Lavat). Avec son ami Jacques Derkenne, ancien condisciple de Navale – et déjà très investi dans le nautisme – il a senti que le monde du yachting traditionnel était dépassé par l’évolution des modes de pratique et qu’il fallait accompagner cette nouvelle clientèle. La couverture du numéro 1 de Bateaux – une photo d’un Cotre des Glénans – symbolise à elle seule le changement d’époque, rappelant la proximité de Pierre Lavat avec le fondateur du Centre Nautique des Glénans, Philippe Viannay qui écrira plusieurs articles.
La forme de la nouvelle revue s’inspire d’une publication créée en 1951 à Paimboeuf par Alain Coyaud, Les Cahiers du Yachting, dont l’audience se limite principalement à la région ouest (à ne pas confondre avec la version grand format qui sera lancée en 1963 par le groupe Hersant). Mais le ton est très différent : volontiers virulent quand il s’agit de défendre les plaisanciers, Bateaux est aussi plus précis et technique que ses prédécesseurs, à l’exemple de la rubrique “À la barre” qui, dès le début, propose une étude approfondie d’un voilier avec ses plans de formes détaillés grâce à la rigueur de Pierre Gutelle, dessinateur industriel de métier, architecte naval autodidacte, et collaborateur de la première heure. L’essai lui même est signé de Jacques Monsault, pseudonyme choisi par le premier titulaire du poste – le journaliste de L’Auto Journal André Costa, habitué de la station de métro Monceau… – et qui restera en vigueur pendant trois décennies, emprunté successivement par une bonne dizaine d’essayeurs différents, dont le navigateur Alain Gliksman. D’autres plumes de renom renforceront l’équipe au fil des années, à l’exemple de Bernard Moitessier, dont les lecteurs retrouvent régulièrement la rubrique “Vagabondages marins” dès 1961.
Des chiffres à faire rêver ses successeurs
Pierre Lavat assure dans un premier temps l’essentiel du travail, de la mise en pages à la comptabilité en passant par la photo, avant d’être rejoint par Joëlle Merle qui va prendre en charge le service publicité avec des résultats impressionnants. Durant les décennies suivantes, on verra couramment des numéros de Bateaux comportant 80 pages de publicité et une trentaine de pages de petites annonces pour seulement 70 pages de rédaction ! Le tout avec une diffusion dépassant parfois les 100 000 exemplaires vendus en kiosque, auxquels il faut ajouter plusieurs dizaines de milliers d’abonnés fidèles…
Vite devenu la “bible” des pratiquants, Bateaux s’affirme aussi comme un efficace moteur du développement de la plaisance. Avec ses amis Paul Jacob et Emmanuel Pouvreau – un autre Granvillais, président du CNIT – Pierre Lavat sera ainsi l’une des chevilles ouvrières du premier salon de la navigation de plaisance à La Défense, en janvier 1962. Son influence va même plus loin, la revue fédérant diverses activités dans un mélange des genres qui passerait sans doute mal aujourd’hui.
Le 71 rue Fondary, dans le 15e arrondissement de Paris, siège à partir d’avril 1960 de Bateaux et des Éditions du Compas (éditrices du Cours de navigation des Glénans), abrite aussi la CIDEVYV (Compagnie Industrielle de Développement du Yachting à Voile, qui commercialise les plans Herbulot), Sibma Navale (vente de kits pour la construction amateur), Naviking (réseau de distribution) et Marco Polo (fournisseur de gréements et d’électronique), autant de structures gérées par Jacques Derkenne, associé de Pierre Lavat, et par lesquelles transite au début des années 1960 environ le tiers du marché des voiliers neufs en France…