Jules Verne enfin battu !

Didier Ravon
Culture
Commodore explorer, Bruno Peyron , 1993 ©Gilles Martin-Raget
Faire mieux que 80 jours autour du monde en «défi» au chef d’œuvre littéraire de Jules Verne, obsédait les marins. Bruno Peyron sur Commodore Explorer allait être le premier à y parvenir.

Quand ce 20 avril 1993, un grand catamaran bleu nuit fût en vue du phare de Créac’h, les feux de détresse craqués par l’équipage illuminèrent le crépuscule et la voilure blanche et fatiguée de Commodore Explorer. Les cinq marins aussi hagards qu’heureux, ne semblaient pas réaliser la portée de leur exploit. Pourtant, Bruno Peyron, Marc Vallin, Cam Lewis, Jacques Vincent et Olivier Despaignes entraient dans l’histoire, ayant bouclé le tour du globe en 79 jours 6 heures et 5 minutes. Après 28 000 milles parcourus à la moyenne de 14,39 nœuds, ils franchissaient cette barre symbolique si chère à Jules Verne et son héros Phileas Fogg dans « Le tour du monde en 80 jours ». A bord de l’ancien Jet Services V dessiné par Gilles Ollier et Yann Penfornis, construit en 1987 chez Multiplast, le voyage n’avait pourtant pas été une sinécure. Le «monstre», ses 28 mètres de longueur hors tout par 13,60 mètres de large, ses 10 tonnes et sa surface de voilure au portant de 777 m2, restait un catamaran volage pouvant se retourner comme un engin de plage à tout moment. De fait, les deux flotteurs avaient été conçus comme des «caissons de survie» afin que l’équipage puisse y passer un mois en cas de chavirage dans les mers australes. «Enfer initiatique. Brutal. Violent. Puissant. Démesuré ! Il n’y a pas de qualificatifs précis pour exprimer ce qui se passe ici en ce moment. Chavirage évité de justesse…», racontait Bruno Peyron par 42° Sud via un message laconique expédié depuis les quarantièmes rugissants. «Nous avons changé d’échelle et de planète. Commodore Explorer est sans doute le plus grand catamaran, mais ici il n’existe pas…»

A sec de toile et en survie !

La mer était épouvantable. Bruno Peyron et son «équipage commando» luttèrent quarante heures durant pour tenter de maitriser le monstre… à sec de toile. Ces marins plus qu’expérimentés n’avaient jamais connu de mer aussi violente. Et pour tout arranger, et ce depuis le départ à Brest, le Nagrafax permettant de recevoir les cartes isobariques à bord était en panne. Bruno Peyron à la fois skipper et en charge de la navigation, n’avait que les bulletins météo écrits arrivant par télex, mais encore peu précis sous ces hautes latitudes. «Sommes toujours debout», écrivit Bruno Peyron dans son carnet de bord le 22 mars… « et pourtant 45 nœuds de Sud dans la gueule à l’approche du cap Horn, il paraît que ça n’arrive que 10 % du temps… » Malgré son intuition et sens marin, le Baulois ne put éviter ces deux dépressions dans l’un des pires endroits de la planète. Rattrapé ensuite par des vents de 70 nœuds (force 12 et plus) en rafale, Commodore Explorer se retrouvât à la cape sèche… «À l’intérieur de la coque, tout s’organise en prévision d’un éventuel chavirage», avouait le skipper, dont le catamaran géant dérivait alors à 4 nœuds vers la côte… Lors du passage du fameux «cap dur» signe de délivrance, les cinq héros dans leur combinaison de survie, envoyèrent un selfie devant le Horn. Si sa résolution laissait à désirer, c’était quand même la première photo numérique envoyée de la mer vers la terre par satellite… il y a trente ans !

Bruno Peyron vainqueur du Trophée Jules Verne, 1993, INA
«Enfer initiatique. Brutal. Violent. Puissant. Démesuré ! Il n’y a pas de qualificatifs précis pour exprimer ce qui se passe ici en ce moment…»
Bruno Peyron

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