Tabarly défie l’Atlantique

Olivier Peretie
Culture
A l’été 1980, Éric Tabarly effaçait des tablettes un record de l’Atlantique qui résistait à toutes les tentatives depuis soixante-quinze ans 

Un record de légende

Il le répétait à l’envi : à ses yeux les records dépendaient trop de la météo pour présenter un quelconque intérêt sportif. Donc, Éric Tabarly ne voyait pourquoi il devrait tenter de battre celui de la traversée de l’Atlantique. Lequel était pourtant devenu un mythe. Voire une malédiction.

En 1905, une formidable goélette aurique à trois-mâts, longue de 56 mètres et baptisée fort à propos Atlantic, avait remporté la course transatlantique entre New York et le cap Lizard en Cornouailles. Imaginée par le Kayser Guillaume II, l’épreuve devait démontrer la supériorité de la marine allemande. La goélette était newyorkaise, son skipper écossais. Il se nommait Charlie Barr et il arborait un palmarès de maréchal des ondes. En 12 jours, 4 heures, 1 minute et 19 secondes d’une folle cavalcade, Barr avait écrasé la course, écœuré le yacht impérial Hamburg, et signé un temps de passage stupéfiant.

Son exploit résistait encore, en cet été 1980. Durant ces soixante-quinze années, toutes les tentatives pour effacer cette marque légendaire avaient échoué. L’année précédente, un trimaran s’était retourné, un autre s’était disloqué, un troisième avait frôlé le chavirage. Quant aux assauts en monocoques, à quoi bon les mentionner ? Aucun n’avait jamais abouti.

Blessé à l’épaule, Éric Tabarly n’avait pu disputer l’OSTAR de juin 1980. Éric avait déjà remporté à deux reprises cette célèbre Transat anglaise en solitaire, en 1964 et 1976. Privé d’une possible passe de trois, il avait demandé au jeune Marc Pajot de le remplacer au pied levé. Seul à bord de l’étrange trimaran à foils Paul Ricard, le médaillé olympique avait terminé à la cinquième place à Newport, au nord de New York. Mais les organisateurs britanniques, sanctionnant un remplacement trop tardif, ne l’avaient pas classé… Après sa décevante deuxième place pour cinq maudites minutes, au terme de la Transat en Double (disputée avec le même Pajot) de l’année précédente, l’étrange engin de Tabarly tardait à marquer son époque.

Quoi qu’il en soit, Éric devait donc ramener son bateau en France. Son ami et associé Gérard Petipas réussit à le convaincre d’en profiter pour s’attaquer au record. Il lui suffisait de longer la côte américaine durant une dizaine d’heures, puis de franchir la ligne de départ devant New York et de rallier la Manche le plus vite possible. De toute façon, à bord, Tabarly n’avait d’autre mantra que « le plus vite possible ».

Le héros donna son accord à deux conditions : pressé de rentrer chez lui, il refusait de patienter en attendant la fenêtre météo idéale. Il ne voulait pas non plus du moindre tapage médiatique autour de sa tentative. Il exigeait que Petipas ne diffuse la nouvelle de son entreprise que lorsqu’il serait certain de battre Atlantic.

C’est ainsi que le 31 juillet, Europe 1 réveillait la France avec une nouvelle sensationnelle : dans quelques heures, Éric Tabarly allait à nouveau écrire l’histoire ! Le lendemain, après une traversée décoiffante seulement ralentie par des calmes à l’entrée de la Manche, l’étrange hydrofoil défilait sous les falaises du Cap Lizard. Et le marin le plus célèbre du monde ajoutait une étoile à son blason : le record de l’Atlantique en dix jours, cinq heures, quatorze minutes et vingt secondes.

Arrivée d'Eric TABARLY à La Trinité, 1980, INA

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