La solitaire du Figaro
La course des marins qui ne dorment jamais
Créée en 1970, la Course en Solitaire de l’Aurore s’est rapidement imposée comme un creuset de marins d’exception. Des coureurs au large hors pair qui savaient tout faire et surtout ne pas dormir.
Il est barbu comme un marin, excentrique comme un artiste et trois naufrages figurent en bonne place dans son cv nautique. Ses onze adversaires le prennent pour un farfelu. Joan de Kat leur démontre qu’ils se trompent lourdement. Ce fils d’un peintre belge renommé remporte la première Course en Solitaire de l’Aurore en 1970 (et gagne la seconde des deux étapes un an plus tard).
Imaginer que cette course en solo restera le terrain de jeux de gentils amateurs serait une grave erreur. Devenue la Solitaire du Figaro en 1980, elle s’est imposée comme une redoutable épreuve, un défi unique au monde, ainsi qu’un passage quasi-obligé pour qui veut gagner Vendée Globe ou Route du Rhum.
L’idée de créer une nouvelle course au large germe en 1969 dans la tête de deux journalistes du quotidien l’Aurore. Ces deux passionnés de voile se désolent de constater que les plus grandes classiques nautiques, telles la Fastnet Race britannique, la Course des Bermudes américaine ou la Sydney-Hobart australienne, demeurent incompréhensibles pour le grand public : avec leur système de handicap d’une complexité tout anglo-saxonne, un concurrent arrivé trois jours après le premier à bon port peut être déclaré vainqueur.
Les deux rédacteurs entendent donc inventer une course au large française, simple, accessible, sélective et médiatique.
Française ? Leur épreuve partira d’un port breton et y reviendra après une ou deux escales, en Espagne, en Angleterre ou en Irlande.
Simple ? Elle se disputera en solitaire, en «temps réel», – le premier qui coupe la ligne d’arrivée est le vainqueur- et sur des monocoques d’environ neuf mètres de long (conformes au système de mesure de la Half Ton Cup, un championnat en vogue à l’époque). Comme dans le Tour de France cycliste, le classement général se fera au temps cumulé.
Accessible ? La course est ouverte aux bateaux de série, ces Arpège et autres Super-Challenger qui autorisent aussi bien la croisière que la régate. Aucune expérience n’est exigée pour s’y inscrire.
Sélective ? Les premières éditions se disputent sur deux puis trois étapes d’environ 300 milles marins chacune, ce qui garantit des séries de deux ou trois nuits blanches successives. La gestion de la privation de sommeil sera donc primordiale. Dès la première édition, un Arpège flambant neuf se fracasse sur la côte espagnole : son skipper, Jean-Yves Terlain, s’est endormi, écrasé de fatigue.
Médiatique ? Les concurrents ont l’obligation d’emporter un émetteur-récepteur pour communiquer chaque jour avec la direction de course, donner leur position, relater leurs bons et mauvais moments. Le quotidien l’Aurore accepte de patronner -et d’organiser- l’épreuve chaque été.
Et la formule séduit d’emblée. Les meilleurs coureurs des «seventies» -Malinovsky, Vidal, Riguidel, Gahinet, Le Baud ou Cornou- se frottent à l’Aurore. Ils s’y font un nom, un palmarès, une carrière. Le public se passionne pour ces merveilleux fous voguant qui ne dorment jamais.