Les 24H de Rouen

Gérald Guétat
Culture
24H de Rouen, 1979 ©Guy Lévèque
Après le succès international des Six Heures de Paris lancées en 1955, la création d’une épreuve courue sans interruption pendant vingt-quatre heures à partir de 1964 souligne la popularité croissante du motonautisme de haute compétition auprès des pilotes, des constructeurs et du public.

La ronde infernale

Après le succès d’une simple course amicale de quelques heures autour de l’île Lacroix à Rouen, en 1963, une poignée de passionnés lancent l’idée ambitieuse d’organiser, dès l’année suivante, un marathon de vingt-quatre heures sur la Seine. Les pilotes vont y retrouver toutes les embûches d’un circuit fluvial perpétuellement agité entre des quais de pierre à l’instar de l’épreuve des Six Heures de Paris fondée en 1955. S’ajoutent ici le défi de la nuit qui rend invisibles les bois flottants et autres pièges pour les carènes et les hélices, les courants de marée sans oublier la nécessaire régulation de l’imposant passage des péniches sur un axe commercial aussi densément fréquenté que la Seine maritime. Pour la première fois au monde, des combats héroïques menés seul au fond des cockpits, aux prises avec la piste liquide toujours hostile, constamment miroitante et mouvante dans le pinceau lumineux des phares, et le clapot infernal de jour comme de nuit, qui vont bâtir la légende des 24 Heures de Rouen, naturellement assimilées à leur équivalent routier du Mans. 

La nouvelle course normande s’impose en quelques années comme un des plus redoutables bancs d’essai pour les coques et les moteurs, avec une large reconnaissance internationale pour les vainqueurs. Pendant une décennie, ce sont les coques en V qui franchissent le mieux ces obstacles alors que l’on enregistre, en 1967, la première victoire d’un moteur hors-bord. L’année suivante, les gagnants passent déjà le « mur » des 2 000 kilomètres parcourus en vingt-quatre heures. À partir de la fin des années 1960, le développement des catamarans à tunnel aérodynamique entre les deux coques, permettent aux pilotes de naviguer toujours plus vite au ras du plan d’eau, comme en équilibre précaire sur la pointe de l’hélice, au risque de la perte de contrôle à la première seconde d’inattention.

Le runabout de Bouillant – Delettrez, vainqueur des 24h de Rouen, 1964 ©Guy Lévèque
24H de Rouen, 1979 ©Guy Lévèque
24H Rouen, 1969, INA

Les années 1970 à 1990 sont marquées par des progrès constants dans les matériaux des coques et la puissance des moteurs, désormais en très grande majorité hors-bord. La grande classique française d’endurance se déroule alors presque au rythme d’un Grand Prix de Formule Un avec son fort impact commercial pour les constructeurs, motoristes et sponsors. Les meilleurs pilotes mondiaux sont de plus en plus nombreux à revenir chaque année. En 1972, le public toujours très nombreux assiste à la première victoire d’un équipage étranger avec les Italiens Baggioli, Riva et Redaelli. En 1977, un Américain triomphe pour la première fois (Caldwell) puis, l’année suivante, Rouen fête l’arrivée en tête de la course de l’Italien Renato Molinari, le «Maestro» aux quatorze titres de champion du monde. Il l’emporte de nouveau en 1979, pour le dernier succès d’un moteur inboard avec son catamaran propulsé par un Fiat-Abarth. Molinari va cumuler total de quatre victoires en Normandie. En 1987, le motonautisme français connaît un nouveau jour de gloire avec le triplé de coques Jeanneau dotées de moteur Mercury.

L’on mesurera les progrès accomplis en comparant la distance de 1 468 kilomètres parcourue par les premiers vainqueurs Bouillant et Delettrez en 1964 à la moyenne de 61 km/h, et le record établi en 1993 par le Français Larue associé aux Américains Castelli et Kabatski, soit 3 182 kilomètres, soit 132,5 km/h de moyenne. Les gagnants de la première édition se relayaient au volant d’une petite coque polyester en V propulsée par un modeste moteur inboard de 60 ch. Les équipages victorieux des années 1990 à 2010 vont survoler l’épreuve aux commandes de catamarans en Kevlar avec des pièces en carbone et des moteurs hors-bord de 300 ch.

À partir de 2000, la tenue de cette compétition se voit de plus en plus contestée pour des raisons écologiques et économiques malgré un succès populaire considérable. Plus de 400 000 spectateurs se retrouvent chaque année dans l’ambiance à la fois bon enfant et intense des sports mécaniques, sur fond des festivités traditionnelles du 1er mai.

En 2010, deux gendarmes escortant une péniche à bord de leur Zodiac sont heurtés par un concurrent. L’un est tué, l’autre blessé et ce drame marque la fin de l’épreuve dans son format initial. De 1964 à 2010, les 24 Heures de Rouen courues sans interruption avaient constitué un défi sans équivalent dans le monde. Après différentes tentatives de relance sous d’autres formules de durée et de course par équipe, la toute dernière édition s’est finalement déroulée à Rouen en 2019.

24H de Rouen, 1990 ©Gérard Beauvais
24H de Rouen, 1990 ©Gérard Beauvais

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