Les 6H de Paris

Jacques Stouls
Culture
Depart des 6h de Paris, 1965 ©Guy Lévèque

Aux origines : le YMCF

Depuis sa création en 1907 le Yacht Moteur Club de France s’est intéressé à la compétition motonautique : coupe Gaston Menier, Paris à la Mer, … L’un des présidents fut Jacques Menier, fils de Gaston Menier des chocolateries, qui participa à de nombreuses compétitions et construisit le célèbre Coq Hardi en 1922 : Coque à redan de 12 m x 3 m avec deux moteurs V 12, Renault Aviation de 575 ch. On a retrouvé les traces de courses organisées par le YMCF sur la Seine entre le pont de la Concorde et le pont de Grenelle, depuis 1928. Il était donc tout à fait normal que le Président Bladinaire, organise les 6 h de Paris en 1955 pour maintenir la tradition.

Jean-Noël Bladinaire, est un élégant kinésithérapeute, ancien champion du monde de ski nautique, qui, l’été s’installe dans les anciens établissements de bain de la Chambre d’Amour à Anglet ; il a d’ailleurs un léger accent chantant du pays basque. Il a pour amis et collaborateurs au club : Bernard Fichot et Philippe Ridray. Avec eux et quelques membres dévoués, ils ont organisé pendant plus de 30 ans, une course de bateaux sur un plan d’eau de 4700 m autour de l’île aux Cygnes, avec un virage en U, en amont et en aval. C’est LA course de réputation mondiale entre 1955 et 1987, qui a réuni depuis sa création, 5100 pilotes et 2560 canots. De plus la magie de Paris a engendré un rêve pour les équipages de 18 nations. Elle se déroulait chaque premier dimanche d’octobre, car autrefois un Salon Nautique avait lieu à cette date au pied de la Tour Eiffel.

La première édition fut assez modeste avec 34 engagés en grande majorité du YMCF, de l’Hélice Club, et un concurrent anglais (déjà), avec des cylindrées inférieures à 1000 cm3 pour les hors-bords. On remarque déjà, avec un 25 ch, la présence de Raymond Guyard et son fils Daniel qui gagnèrent plusieurs éditions futures.

Vainqueur de 1ère 6h de Paris en 1955, R. Guyard et son fils, Daniel Priston importateur Johnson et son fils ©Guy Lévèque
A l'époque, la veille de l'épreuve, les bateaux sur remorques arrivent petit à petit au parc à bateaux situé entre le Pont Bir Hakeim et le Pont d'Iena.

Une course par catégories de bateau

Il y a plusieurs catégories et tout ce petit monde va tourner sur la Seine à plus de 100 km/h pendant 6 heures. On a vu passer beaucoup de types de coques depuis les V profonds qui rebondissaient comme des balles sur le clapot, jusqu’aux catas qui fonçaient tout droit bien calés sur leurs flotteurs. En 1955, il y avait 33 bateaux qui ne dépassaient pas 1000 cm3 (Raymond Guyard et son fils Daniel couraient sur une coque Seyler avec un 25 ch Johnson), mais en 1981 par exemple, sont engagés :

ON – 1500 à 2000 cm3

– 21 concurrents (dont 1 français)
Presque tous les moteurs sont des Mercury. Les coques sont des Velden, Burgess, Molinari, Seebold,

 

OE – 750 à 850 cm3 course

– 25 bateaux (dont 11 français)
16 moteurs sont Evinrude ou Johnson, 8 Mercury. Il y a 2 coques Cormorant (Roger Moreau les construit à Macon depuis des années ; ancien pilote il est Président de la commission sportive de la FFM), et des coques Velden, Burgess, Molinari,

 

SE – 750 à 850 cm3

(presque) de série – 25 bateaux (dont 12 français et beaucoup d’italiens)
avec des moteurs OMC, (Johnson-Evinrude) sur des coques Cormorant, Velden, Burgess, Gardin,

 

et enfin une dizaine de runabouts

Suédois, Italiens, Français avec des moteurs Volvo, Alfa-Roméo, BMW, Renault sur des coques Cormorant, Molinari.

La préparation de la course

A l’époque, la veille de l’épreuve, les bateaux sur remorques arrivent petit à petit au parc à bateaux situé entre le Pont Bir Hakeim et le Pont d’Iena. Évidemment les spectateurs veulent voir les bateaux de près, mais des commissaires font un tri très sélectif en raison des risques : il y a de l’essence partout, les gens fument, des grues “font le ménage”, des hélices tournent à sec. Le champion Oreste Rocca lui-même a failli être refoulé.

Sur le parc à bateaux, on met la main sur les dernières finitions, car il y a beaucoup de pilotes non professionnels. Certains fixent les derniers accessoires et mettent à l’eau pour les derniers réglages ; une ultime erreur les empêchera parfois de prendre le départ. On teste le vent sur le parcours ; on choisit la bonne hélice en fonction du nombre de tours à l’aller ou au retour ; on met, ou on retire, des cales ici ou là ; avec un petit marteau on rectifie le “cup” du bord des pales pour brasser plus d’eau ; on règle la hauteur et l’angle moyens, si on n’a pas encore de lift ou de trim ; on remplit le réservoir, le ballast. Le mélange essence alcool est, en principe, interdit ; il ne faut pas se tromper. On prépare le système de remplissage rapide du carburant pour perdre le moins de temps possible lors du ravitaillement. On confirme des codes de communication, car il n’y a pas encore de radio. On fixe la pagaie obligatoire ; on serre le gilet ; on blague avec les copains ; on prépare la course d’après et on espère ne pas rencontrer une épave. On sait qu’il y aura plus de la moitié des bateaux au tapis et on ne voudrait pas en faire partie.

Dinghy «Le Mistral», vainqueurs des six heures de Paris, 1962 ©Guy Lévèque
Des concurrents lors des 6h de Paris ©Guy Lévèque

Et on passe au contrôle technique. Bien entendu, on a triché un peu sur l’alésage, les segments, l’alimentation, la pompe à eau et autres astuces que François Bisbal président technique de la Fédé, connait bien pour avoir lui-même inventé de nombreuses dérogations au règlement. Il a un tas de “piges” pour tester des dimensions cachées et tout le monde le redoute, bien qu’il soit un très gentil garçon. C’est lui qui fera démonter les moteurs des vainqueurs après la course ; Les équipes italiennes bâchent leurs bateaux pour qu’on ne voie pas les détails techniques de leurs coques et écartent sans ménagements les journalistes trop curieux. Le briefing pilotes, la mise à l’eau sont des formalités et c’est l’enfer du départ. Il y a un monde fou sur les berges, sur les ponts et les voitures ralentissent pour voir la meute filer à toute vitesse.

L’écurie Guyard pendant les 6h de Paris ©Guy Lévèque

Un début de course effréné

80 bateaux quittent le quai rive gauche et se bousculent sur le bras de Seine étroit rive droite. Les bateaux font des vagues au déjaugeage, les runabouts également. La Seine est devenue une casserole en ébullition. Les pilotes rapides veulent se sortir de la meute des bateaux lents, d’autres de disent qu’il y a encore beaucoup de temps. Les premiers tours sont clairs, mais en quelques minutes il y a tellement de retardataires qu’on ne sait plus qui est en tête.

Prise de virage – Compétitions 1955/1958 © Guy Lévèque

Et la ronde commence. Il y a de grosses différences de vitesse entre les bateaux et dans les gerbes d’écume, on ne voit pas bien qui est devant soi. C’est d’ailleurs un jeu pour les pilotes qui doublent, que de rincer les bateaux plus lents. Arrivé à la bouée de virage : Faut-il serrer la boule jaune, ou passer au large sans ralentir ? Évidemment ça se bouscule au portillon. On ne se fait pas de cadeaux. Il faut manier le lift et le trim. Puis régler correctement selon le vent pour la ligne droite qui vient. Des bateaux se dressent en l’air. Le public crie. Le pilote s’interroge : se retournera, se retournera pas ? Les bateaux s’éperonnent. Il en a qui coulent et il y a des épaves partout. Elles risquent de trouer les coques lancées à pleine vitesse. Il faut avoir l’œil.

Les pneumatiques de sécurité se précipitent en évitant les bolides. Mais ils font des vagues traitresses. De plus lorsqu’ils remorquent les épaves, les trajectoires ne sont pas toujours parfaites. C’est un mal nécessaire. Il faut parfois des plongeurs pour amarrer les câbles des grues et chacun donne son avis.

Albatros – 6h de Paris ©Guy Lévèque

La présence internationale de la course

Les grands patrons des marques de moteur sont venus des USA avec des prototypes, ou de Belgique, où sont fabriqué les séries. Karl Kiekhaefer le patron de Mercury, est très contrarié car son bateau prototype à turbine est en train de couler.
Dans le parc à bateaux les nouvelles circulent : “Untel” est en panne moteur. “Machin” a flippé ; il va bien. “Truc” a coulé ; il nage. Le choc dans l’eau à 150 km/h provoque de graves traumatismes et le poids du casque lèse les muscles du cou pendant plusieurs semaines. L’eau n’est pas du béton, comme on le prétend, mais on rebondit dans tous les sens au milieu des débris parfois acérés ou tranchants.

Hélas, en 1965, les bateaux sont bord à bord et Claude Kirié malgré sa grande expérience percute le quai à pleine vitesse. Le câble de direction aurait-il cassé ? Les plongeurs se précipitent, le président du club de plongée saute à l’eau en caleçon. Ils ne peuvent sortir le pilote du bateau, car il est coincé inanimé tout à l’arrière dans les câbles de direction. Son nom sera associé à une grande marque de bateaux.

Une autre année en 1974, le grand champion italien Cesario Scotti est pris dans une rafale de vent en aval de l’île aux Cygnes. Les pilotes connaissent bien les sautes de vent continuelles sur le parcours. Mais Scotti a été surpris. Son bateau s’envole et va percuter une pile de pont. C’était l’équipier de la première heure de Renato Molinari. Ce circuit est plein de pièges avec des vagues dans tous les sens, des épaves, des vents variables entre les rideaux d’arbres, le passage des péniches ; mais, malgré les risques, les pilotes du monde entier l’aiment beaucoup.

Des concurrents lors des 6h de Paris ©Guy Lévèque
Les 6 heures de Paris, 1968 ©Guy Lévèque
La remise des prix dans les Salons de la porte Dauphine est l'occasion pour eux, d'expulser leur stress, et les champions trinquent en se promettant de revenir encore plus forts l'an prochain.

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