Face au marché, le défi des chantiers
Quand un coup de vent frappe l’économie, quel achat apparaît comme le plus évident à différer, si ce n’est celui d’un bateau. La croissance mondiale, dans les années 1980, s’est caractérisée par l’importance des investissements qui a entraîné, entre autres, une forte hausse des capacités de production. Cette évolution favorable s’est accompagnée du recul de l’inflation dans les principaux pays industrialisés.
La fin de ce cycle d’investissement avait été anticipée mais la forte dégradation de la situation au début de la nouvelle décennie a d’autres catalyseurs en Europe. Les énormes besoins pour le financement de la réunification de l’Allemagne ont drainé les capitaux vers ce pays, attirés par des taux d’intérêt en hausse, affaiblissant d’autant les autres devises européennes. Parallèlement, le taux d’endettement des ménages a fortement augmenté, réduisant les capacités d’achat de nouveaux biens ou services par le resserrement du crédit.
Dans le secteur de la plaisance en France, le retournement de la conjoncture entre 1990 et 1992 a été d’autant plus puissant qu’il a été provoqué, en outre, par une nette réduction des commandes venant des pays étrangers et donc une baisse importante des exportations. De plus, le marché américain a été « plombé » par l’introduction de nouvelles taxes frappant les bateaux de plaisance. Ce retournement initial de la conjoncture s’est ensuite prolongé d’une phase de récession entre 1992 et 1994. Ainsi, la production industrielle a-t-elle baissé de plus de 5 % (en volume) sur la seule année 1993, malgré un frémissement et un léger rebond au deuxième semestre.
Le chiffre d’affaires global de la plaisance française aura donc connu un sommet en 1990, qu’il faudra huit ans pour reconquérir. En 1991, le chiffre d’affaires des seuls constructeurs de bateaux, aura baissé de plus de 13 %, soit en dessous des chiffres de 1989. Au total, la chute aura été de 30% entre 1990 et 1994.
La plupart des chantiers, durement touchés, notamment par la chute des exportations ont été contraints de réduire leurs effectifs et se recapitaliser. Certains ne survivront pas. Aux Etats-Unis qui sortent de la tempête avant l’Europe – dès 1993-1994 – le paysage de l’industrie de la plaisance a été considérablement bouleversé avec une forte concentration de plus de 65 % des ventes entre trois principaux constructeurs. En France, les lignes bougent aussi, et de manière spectaculaire, en 1995, avec la reprise de Jeanneau par Bénéteau. Chaque marque va conserver cependant son identité et les deux «frères ennemis» d’hier vont apprendre à travailler ensemble pour faire de ce défi considérable une nouvelle chance de croissance pour la plaisance française.
Au sortir de la récession, les grandes catégories de bateaux proposées sur le marché français n’ont pas changé mais leur présentation dans la presse spécialisée, telle que les magazines Bateaux et Neptune, apparaît plus synthétique, sans doute parce que l’offre semble de plus en plus pléthorique. Les très nombreux modèles et variations sont regroupés sous cinq segments principaux – pneumatique, sportif, baroudeur, pêche et vedettes, avec des subdivisions selon les programmes visés. On note aussi l’invasion irréversible de nouveaux termes du vocabulaire américain, les Etats-Unis continuant à déterminer les grandes tendances de conception des bateaux que les designers italiens et français adoptent savamment à leur manière.
Le « day-boat » (ou bateaux de jour), le plus accessible et qui concentre une grande part du marché de premier achat, regroupe un vaste éventail de neuf types différents, allant du pneumatique à la coque polyester en passant par le semi-rigide qui a toujours autant le vent en poupe. L’acheteur a donc le choix entre des unités spécialisées ou polyvalentes, à moteur inboard ou hors-bord. Certains préfèreront la pureté de ligne et l’élégance d’un runabout ou d’un day-cruiser à moteur inboard, sans l’excroissance du moteur hors-bord qui «casse» la ligne au niveau du tableau arrière. Toutefois, le moteur externe offre divers avantages dont un prix généralement inférieur à l’inboard, un surcroît de volume à bord, d’excellentes performances et un entretien pratique.
Le classique «pêche-promenade» dont la carène bénéficie de progrès sensibles est considéré comme un day-boat doté d’une timonerie abritée (une spécialité française) mais l’on peut lui préférer le caractère plus sportif d’une coque ouverte ou d’un « walkaround» à console centrale, disposant d’une très bonne circulation, sans entrave, entre l’avant et l’arrière. Cependant, à mesure que l’on monte en gamme, le terme «pêche-promenade» tend à céder le pas au «pêche côtière» avec la création de nouvelles petites vedettes dont la timonerie est transformée en « sedan », abritant un carré suffisamment confortable pour 4 à 6 personnes. Leur motorisation reste, en grande majorité, inboard avec ligne d’arbre. L’on citera en exemple d’entrée dans cette catégorie, le Merry Fisher 730 Croisière de chez Jeanneau dont la deuxième génération sort en 1996 avec casquette de rouf prolongée au-dessus du cockpit, sedan avec carré confortable à grandes surfaces vitrées et plan de cuisine. En bas, le plaisancier dispose d’une cabine de propriétaire avec compartiment toilette séparé. Toujours vers la fin des années 1990 et dans la famille élargie des «pêche croisière», Bénéteau soutient le succès de sa gamme Antarès avec son Série 9 de 9,25m. Doté comme les précédents de patins hydro-stabilisateurs et d’une carène en V profond avec des lignes plus tendues, cet Antarès offre, au niveau du pont, une grande facilité de circulation vers l’avant et la présence de balcons prolongés jusqu’au cockpit.
Dans le domaine des coques ouvertes, la concurrence est rude, ici aussi, entre les chantiers français et les offres étrangères, souvent très compétitives en matière de prix (on pense à White Shark, Bayliner, Boston Whaler ou Quick Silver). Ces unités, à l’origine du concept de walkaround, doivent lutter contre la concurrence de plus en plus féroce des semi-rigides. Dans une polyvalence comparable, l’avantage reste aux coques ouvertes pour ce qui est de la protection et des rangements alors qu’en performances pures, les semi-rigides, l’emportent ainsi qu’en capacité d’emport.
Le type «baroudeur», toujours très bien représenté par les gammes Cap Camarat (Jeanneau) et Flyer (Bénéteau) connaît un succès croissant sur le marché français. Ces unités sont synonymes de liberté, de simplicité et d’économie. Leur capacité de sortir par tous les temps pour aller un peu où l’on veut, comme avec une automobile, leur vaut une comparaison constante avec les 4×4.
Toujours en évolution vers le «haut de gamme», les vedettes sont de plus en plus élaborées au plan du design et de la conception des carènes. Au niveau des aménagements, le soin, la qualité des matériaux et les espaces dégagés, bien éclairés en font de véritables petits chefs d’œuvre d’architecture intérieure. Et les performances de ces carènes planantes ou semi-planantes sont bien au rendez-vous avec une trentaine de nœuds à la clé. Le choix final est surtout fonction de l’utilisation : open avec sun-deck, ou sedan, avec ou sans fly bridge… Alors que l’an 2000 se profile à l’horizon, les chantiers italiens font feu de tout bois, si l’on peut dire. Malgré leur succès, les chantiers français, particulièrement dans les vedettes de 6,50 m à 10 mètres, sont très exposés aux concurrents étrangers comme Chris-Craft, Sealine, Sea-Ray, Bayliner, Gobbi, Rio, Four Winns, Sessa ou Cranchi, tandis qu’Azimut et Princess s’imposent davantage dans les unités plus grandes, dans la gamme des 40 pieds et au-delà.
Du côté des propulseurs hors-bord, force est de constater des progrès constants dans un duel désormais mondial entre les marques japonaises qui défendent les couleurs du quatre-temps et les traditionnelles firmes américaines qui voient encore de beaux-jours promis au deux-temps. Ce dernier, plus léger, resurgit par suite d’avancées importantes en termes de réduction des émissions par une amélioration spectaculaire des rendements. Le deux-temps se taille une nouvelle respectabilité avec des performances en hausse dans le respect des nouvelles normes.
Alors que le tournant du nouveau millénaire se rapproche, avec ses peurs et ses espoirs, les constructeurs de bateaux à moteur, qui proposent des gammes souvent très étendues, ont tiré les leçons de la récession de la première moitié de la décennie. Sur des marchés toujours plus exigeants, et dans l’obligation d’adapter constamment leur offre, ce sont les nouvelles technologies numériques de création et de production qui vont permettre aux principaux chantiers de proposer des nouveautés, beaucoup plus rapidement et dans un haut niveau de perfection technique.
Dans les unités de production, les méthodes de fabrication et de planification informatisées, héritées de l’automobile et de l’aérospatiale vont faire des progrès considérables vers la fin des années 1990. La réalisation des bateaux va devenir beaucoup plus efficace. Bien que l’assemblage de la plupart des composants individuels continuera à se pratiquer encore longtemps à la main, les moules seront désormais fraisés par des systèmes robotisés d’une précision fabuleuse, et les pièces découpées par des machines à commande numérique capables d’une finesse de tolérance impossible à la main humaine. De plus, la rapidité d’expérimentation d’un design et de son application à l’atelier devient un facteur clé pour permettre aux chantiers d’adapter leurs gammes d’une année sur l’autre, et même d’un semestre sur l’autre, ainsi que leurs outils de production, aux fluctuations de la conjoncture et aux variations de la demande des plaisanciers. Le mot-clé de la fin des années 1990 est donc la flexibilité.
Pour la plaisance à moteur comme pour toute l’industrie, l’avenir est plus que jamais à l’adaptation, à l’évolution de modèles de série pour créer des effets de niche, à la qualité du design et des équipements. Parallèlement au développement des outils numériques de création et de fabrication, la forte progression de la production des équipements électroniques d’aide à la navigation – tels que VHF, GPS et radars – entraîne une baisse des prix et une plus grande accessibilité. La banalisation progressive de cette électronique de bord est annonciatrice de l’ère de l’information présente en permanence et de la connectivité.